ENTRETIEN. "La France était belle, je n'avais jamais vu ça de ma vie", se remémore la première médaillée aux Jeux olympiques de Paris, Shirine Boukli
"Un moment unique, historique". Fin de journée en ce samedi 27 juillet 2024. Le plublic de l'Arena Champ-de Mars explose de joie pour la première fois d'une longue série dans ces Jeux olympiques "à la maison". L'héroïne de l'instant se nomme Shirine Boukli, judokate française qui concourt dans la catégorie des -48 kg. Elle vient de décrocher la médaille de bronze, et la première tout court du contingent français, au bout d'une journée de compétition faite de hauts et de bas. "J'ai ma première médaille olympique mais j’y crois pas, je ne comprends plus rien à ce qui m'arrive (rires). C'est un mélange d'émotions indescriptibles", confiait-elle.
Il y a un an jour pour jour, la cérémonie des Jeux de Paris enchantait la planète en mondovision. Shirine Boukli est revenue pour franceinfo: sport sur cette aventure olympique exceptionnelle. De l'eau a coulé sous les ponts pour la Gardoise de 26 ans, un nouveau titre européen dans la poche, elle se souvient de ce moment d'émotion intense. "Les Jeux à domicile, ce n'est pas tous les jours et j'ai la chance de faire partie de cette génération chanceuse de l'avoir vécu et qui a marqué l'histoire". Pour la jeune athlète, les souvenirs de cette belle journée et de celles qui ont suivi sont toujours bien présents. "Avoir des souvenirs communs avec autant de monde, de faire partie d'une telle histoire, c'est dingue. J'espère en avoir assez profité, l'avoir vécu à fond", sourit-elle.
franceinfo: sport : Qu'avez-vous retenu de ce samedi 27 juillet 2024, de cette médaille de bronze, la première de l'équipe de France dans les Jeux de Paris ?
Shirine Boukli : C’était un moment unique, historique. Les Jeux à domicile, ce n'est pas tous les jours et j'ai la chance de faire partie de cette génération chanceuse de l'avoir vécu et qui a marqué l'histoire. Je suis la première médaillée des jeux de Paris 2024. Il n’y en aura plus ici avant un moment. Et, voilà, c’est, c'est beau tout simplement.
A-t-elle une saveur particulière cette médaille ?
Bien sûr, déjà, c'est ma première médaille olympique. Et les Jeux olympiques, c'est le Graal. J'étais partie pour gagner la plus belle, mais comme c'est une médaille à domicile, elle a une saveur différente. Elle est aussi belle, je crois.
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Cette médaille de bronze représente tout mon parcours, toute mon histoire, le travail très dur que j'ai fourni pour l'obtenir. Les Jeux sont tous les quatre ans, j'ai dû me battre pour être la représentante française dans ma catégorie aussi, parce qu'il n'y a qu'une seule élue pour la compétition olympique. Le combat commence donc avant les Jeux pour accomplir un tel exploit. Elle signifie beaucoup pour moi, elle est vraiment forte en émotions.
Qu'est-ce que ça fait d'ouvrir le bal pour toute l'équipe de France olympique ?
C'est un rôle que je connais bien (rires). Avec les Bleus du judo, aux championnats d'Europe ou du monde, en général, ma catégorie combat toujours le premier jour. Je suis habituée à ce que les autres me soutiennent en attendant leur compétition, ça me motive. Quand j'étais plus jeune en cadettes, je me souviens qu'on me disait que je devais lancer la dynamique de groupe, que j'avais aussi un rôle à jouer à ce niveau. Je dois apporter cette énergie pour mettre les autres dans le bain, leur donner envie de se dépasser.
Et pour les Jeux à Paris, je me suis dit exactement la même chose, j'espère avoir servi d'exemple en ouvrant le compteur, d'avoir provoqué l'envie chez les autres sportifs français, de peut-être leur avoir donné un avant-goût de ce qu'ils pourraient vivre. Je pense que ma médaille a créé la bonne énergie pour tout le collectif équipe de France, tous sports confondus.
Shirine Bouklià franceinfo: sport
En parlant avec Madeleine Malonga (-78 kg) et Romane Dicko (+ de 78 kg), elles me disaient qu'elles aiment regarder les compétitions avant de combattre, capter l'énergie. Moi, je n'ai jamais envie d'attendre, d'avoir ce stress pendant plusieurs jours. Je pense qu'on a des routines et des habitudes différentes qui nous correspondent. C'est pour moi, une motivation supplémentaire de lancer une belle dynamique pour tout le monde, d'ouvrir le bal, ça ne me met pas une pression supplémentaire. C'est cool en vrai. Je suis plus animée que stressée par ce rôle.
Quel souvenir vous a-t-il particulièrement marquée lors de ces Jeux à domicile ?
Le moment où je comprends que je suis médaillée, où je me bats, que l'arbitre va vérifier si mon action est valable. Là, c'est un moment extrêmement fort où je cherche dans les gradins les personnes que j'aime alors que je les ai esquivées toute la journée pour rester dans ma bulle. A partir de ce moment, je me reconnecte au reste du monde. Parce qu'avant, je ne suis pas un robot mais je suis tellement focus sur ma compétition que je ne capte pas grand-chose à ce qu'il se passe autour.
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Mon quart de finale perdu un peu plus tôt dans la journée a aussi été un moment super fort. Avant de combattre en repêchages pour la médaille de bronze, il y a eu un break dans la compétition. J'ai pu aller voir mon entraîneur de club, Kylian Le Blouch, qui était en tribune. J'étais mal, le fait d'avoir perdu de cette manière (défaite sur ippon en quelques secondes), j'avais le sentiment de ne pas m'être exprimée. Je suis une compétitrice et si je ne faisais pas de nécessaire, je pouvais subir le repêchage et finir sans médaille. C'était ce qu'il aurait eu de pire. Le voir et discuter avec lui m'a remobilisée et permis de revenir dans ma compétition.
Et puis la médaille par équipes. Même si on fait un sport individuel où on se bagarre seule, le collectif, c'est quelque chose, c'est une autre énergie. Toute la journée a été forte, la finale était folle, on en a tous pleuré. C'était sans doute plus fort qu'à Tokyo, trois ans avant, même si on avait battu les Japonais chez eux. Ils avaient soif de revanche, ils avaient même presque plus privilégié le par équipes que les individuels et on a gardé notre titre. C'était trop beau.
Comment s'est passée votre année post-olympique ? Avez-vous eu besoin de couper avec le judo ?
Je pensais connaître l'après-Jeux vu que j'étais à Tokyo, mais je n'avais pas eu de médaille individuelle. J'avais donc soif de vengeance. Là, j'ai senti ce sentiment bizarre d'après-Jeux où tu as un peu moins envie. Il faut un temps d'adaptation, comme si la personne qui partage ta vie te quittait. Heureusement, j'étais bien suivie au niveau psychologique.
Cette année était très bizarre. Sur le plan objectif sportif, par exemple, même s'il y avait des envies, il fallait retrouver l'envie avec la passion, l'amour du sport, même si je sais que j'aime ce sport, retourner à une préparation pour un championnat, souffrir. Même si j'aime ça, ça n'a pas été simple. J'étais un peu rêveuse, pas toujours là. Mais je m'en suis rendue compte après coup. A la reprise, je ne comprenais pas pourquoi j'allais faire des séances techniques. C'était trop. J'ai eu besoin de me reconnecter à pourquoi j'aimais ce sport. Je suis donc aller m'entraîner avec des jeunes de 15-17 ans dans les poles et puis, j'ai repris le jujitsu brésilien. Je n'avais pas envie de retourner à des choses difficiles tout de suite.
Ma compétition de reprise a été le Grand Slam de Bercy en février, où je termine deuxième. Puis j'ai enchaîné sur les Europe, où j'ai conservé mon titre, puis une cinquième place aux Mondiaux. C'était difficile, il a fallu du temps pour réapprendre et réavancer. Je pense que la saison prochaine va être différente. Je l'espère en tout cas.
La ferveur du public français est-elle aussi exceptionnelle qu'on l'a dit ? Y pensez-vous encore souvent ?
Oui c'était complètement fou ! Le Palais éphémère était pourtant moins grand que Bercy où on participe au Grand Slam de Paris. Mais j'avais le sentiment d'avoir tout le monde au niveau de mes épaules. J'essayais vraiment de ne pas trop regarder autour de moi mais on sentait les énergies, limite sur le tapis. Tu sentais qu'il y avait du mouvement et des ondes qui te poussaient, justement, à donner le meilleur de toi-même.
Je me souviens aussi du Club France, qui était une sacrée expérience. J'y étais le premier soir. Je ne m'attendais pas à une telle foule quand je suis arrivée sur scène, c'était fou ! Et puis, je suis allée voir d'autres épreuves à Paris, regarder les copains en compétition, tout le monde dans les rues ne parlait que des Jeux. On me reconnaissait, on venait me voir et me féliciter. C'était beau à voir, la France était belle, je n'avais jamais vu ça de ma vie. Avoir des souvenirs communs avec autant de monde, de faire partie d'une telle histoire, c'est dingue. J'espère en avoir assez profité, l'avoir vécu à fond.