Ukraine : aucune trêve ni répit en vue sur le front
Beaucoup de bruit pour rien ? Si Washington met la pression sur l'Ukraine pour engager un dialogue avec Moscou, les affrontements autour des 1 000 km de la ligne de front se poursuivent. Sur le terrain, l'idée d'une trêve telle qu'elle a été formulée lors du sommet européen qui s’est achevé dimanche 2 mars paraît bien lointaine.
En effet, l'armée russe tente toujours de percer les défenses ukrainiennes dans le Donbass. Les forces ukrainiennes tentent quant à elles de maintenir leurs gains en territoire russe, dans la région de Koursk.
"Ralentissement de l'offensive russe"
Dans le détail, "la plupart des combats ont lieu dans la région russe de Koursk et l’oblast de Donetsk dans le Donbass. C’est moins intense autour de Kharkiv et dans la région de Louhansk et de faible intensité au sud, que ce soit dans l’oblast de Zaporijjia ou à Kherson", énumère Patrick Haasler, spécialiste des questions militaires russes pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Cette situation marque un "ralentissement de l’offensive russe", constate Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow. "L’armée russe pousse moins qu’en janvier lorsqu’elle avait lancé plusieurs opérations d’envergure tout le long de la ligne de front. Elle continue cependant à avancer lentement mais sûrement de quelques kilomètres par jour en moyenne", résume Huseyn Aliyev.
Concrètement, "au plus fort de ses offensives en 2024 [à l’automne, NDLR], l’armée russe lançait entre 160 et 220 attaques par jour, alors qu’actuellement cela tourne plutôt autour de 90 assauts quotidiens", détaille Gustav Gressel, analyste des questions militaires pour l’Académie nationale de défense autrichienne.
La bataille de Pokrovsk illustre cette dynamique. Fin 2024-début 2025, la chute de cette ville ne semblait plus qu’une question de semaines ou de quelques mois au maximum. La situation a changé, et depuis début février "On dirait que l’Ukraine a réussi quelques contre-attaques autour de Pokrovsk où les soldats ukrainiens semblent avoir établi des défenses solides", note Huseyn Aliyev.
Pourtant, il y a quelques mois à peine, les défenses ukrainiennes paraissaient craquer à plusieurs endroits du front.
Un hiver doux et un fin tacticien
Entre temps, les éléments se sont montrés plutôt favorables à l’Ukraine. À commencer par "un hiver doux, marqué par des pluies et des terrains boueux plutôt que gelés. Ces facteurs météorologiques ont rendu beaucoup plus difficiles les mouvements de véhicules blindés, et les intempéries ont empêché les Russes d’utiliser efficacement les drones et de multiplier les frappes aériennes", note Gustav Gressel.
Mais les Ukrainiens ne doivent pas leur salut qu’à la seule météo. Fin janvier, les autorités à Kiev "ont nommé récemment Mykhaïlo Drapatiy pour commander les forces ukrainiennes dans le Donbass. Il a la réputation d’être l’un des meilleurs tacticiens de l’armée ukrainienne", souligne Huseyn Aliyev.
Ce changement dans l’organigramme est loin d’être anecdotique d’après les experts interrogés par France 24. "Avant, les plaintes se multipliaient au sein de l’armée ukrainienne contre le commandement du front au Donbass. Ces critiques se sont tues depuis la nomination de Mykhaïlo Drapatiy et le moral est bien meilleur parmi les soldats", estime Gustav Gressel.
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Le nouveau commandant des opérations dans le Donbass "est aussi réputé pour ne pas avoir d’ambition politique, ce qui est toujours bien perçu par les soldats, et a déjà procédé à des redéploiements de troupes pour renforcer certains secteurs [comme à Pokrovsk, NDLR] qui étaient très attendus", explique Huseyn Aliyev.
À cela s’ajoute le fait "que les Ukrainiens bénéficient encore de l’aide financière accordée par l’ex-président américain Joe Biden juste avant de quitter la Maison Blanche", souligne Veronika Poniscjakova, spécialiste des questions de sécurité internationale et de la guerre en Ukraine à l'université de Portsmouth.
Des fonds qui ont permis à l’armée ukrainienne de rattraper son retard sur les Russes "en matière de drones guidés par fibre optique qui offraient un avantage important à l’armée russe en fin d’année dernière", souligne Gustav Gressel. Les Ukrainiens ne pouvaient en effet plus utiliser de brouilleurs de fréquences radios, devenus inefficaces contre des drones téléguidés par câbles de fibre optique.
Le temps du côté des Russes
De l’autre côté, les Russes "commencent aussi à ressentir des pénuries, à la fois, en matière de matériel et d’hommes", assure Veronika Poniscjakova.
L’Ukraine a certes réussi à limiter la casse, mais "il ne fait nul doute que ce sont toujours les Russes qui ont l’avantage", assure Gustav Gressel. Ainsi si l’armée progresse plus lentement, c’est aussi parce que l’état-major à Moscou a décidé "d’être plus économe en soldat et de favoriser des tactiques d’encerclement qui prennent plus de temps", explique Patrick Haasler.
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"Les Russes savent aussi qu’avec Donald Trump à la Maison Blanche, ils n’ont pas besoin de se presser pour gagner du terrain à tout prix", affirme Veronika Poniscjakova. D’après cette spécialiste, le président américain ne va pas imiter son prédécesseur et cherche plutôt à mettre la pression sur Volodymyr Zelensky pour faire des concessions. Autrement dit, "Moscou espère peut-être obtenir gain de cause grâce à la seule pression diplomatique et sans avoir à lancer des offensives meurtrières", note Veronika Poniscjakova.
La Russie se prépare aussi, peut-être, à un changement de théâtre d’opération. "Des rumeurs persistantes font état d’un déploiement de plusieurs dizaines de milliers de soldats russes au sud, dans la région de Zaporijjia et celle de Kherson", note Huseyn Aliyev.
Pour cet expert, ce pourrait être le signe que la Russie se prépare à franchir le fleuve Dniepr pour tenter d’avancer dans la région de Kherson au printemps. Gustave Gressel, qui a également entendu ces rumeurs, estime qu’une autre explication est possible : "ces unités ont pu être rassemblées pour être entraînées à l’écart du front avant d’être redéployées plus tard".
Plus tard, car "la Russie estime que le temps joue en sa faveur", note Patrick Haasler. "Moscou estime que la guerre est déjà gagnée, et ce n’est dorénavant qu’une question de temps. À cet égard, le ralentissement actuel des opérations est une décision stratégique qui consiste à épuiser les ressources ukrainiennes tout en minimisant leurs pertes", conclut-il