Notre critique de Mercato : Jamel Debbouze, génial agent trouble du foot business
Jamel Debbouze a failli appeler sa fille Zizou. La boutade dit l’admiration de l’acteur pour le footballeur, probable futur sélectionneur de l’équipe de France. On n’est donc guère surpris de voir Driss, le héros de Mercato, choisir un geste de Zidane pour illustrer la beauté et la grandeur de ce sport. En finale de Ligue des champions 2002, à Glasgow, le Real Madrid affronte le Bayer Leverkusen. Le numéro 10 des Bleus donne alors la victoire à son équipe en exécutant « la plus belle reprise de volée de toute l’histoire du football ».
La tirade, lyrique, est à l’adresse de son fils Abel, adolescent gentiment caricatural dans son opposition à son père (végan, anti-capitaliste, sans portable et plus avide de lecture que de crampons). Cet éloge romantique du génie footballistique contrevient pourtant à la réalité de son métier. Driss est agent de joueur. Entre deux eaux, entre deux âges. Il a représenté Blaise Matuidi, champion du monde 2018 à la retraite. Il s’occupe aujourd’hui de Mehdi Bentarek, attaquant fictif du PSG, en disgrâce depuis un contrôle positif à la cocaïne et une glissade malheureuse. À cause de lui, il doit 300.000 euros à des types qui ont des méthodes de truand. Il a huit jours avant la clôture du mercato – le marché des transferts – pour se refaire, c’est-à-dire sauver sa peau.
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On doit au réalisateur Tristan Séguéla, et à l’un de ses coscénaristes, Olivier Demangel, la série Tapie , déjà très réussie sur les rapports entre les affaires et le football (voir l’épisode sur l’OM, à jamais les premiers à acheter des matchs de D1). Mercato plonge un peu plus dans les eaux troubles du foot business. Sur un rythme de thriller, il balaie habilement tout le spectre des coulisses et toutes les méthodes d’un agent. Trouver un joueur de Reims dans un bowling pour l’enfumer et lui faire renoncer à un transfert, vendre un gamin de 12 ans à un centre de formation étranger pour 500.000 euros, envoyer contre sa volonté en Ligue saoudienne un cador du Real Madrid pour 1 milliard de dollars – la somme que le club Al Hilal a proposée au Brésilien Vinicius… Driss ne s’embarrasse pas de scrupules. L’entourage des joueurs non plus, et le scénario s’inspire de plusieurs affaires récentes (Pogba, Kanté).
Autour de Jamel Debbouze, un casting impeccable
Mercato a les moyens de ses ambitions. On voyage de Paris à Dubaï, en passant par Salzbourg, Riyad, Ibiza et Madrid. Les moyens de transport s’accélèrent en même temps que l’urgence pour Driss de faire signer un contrat. Bus, train, jet, l’agent ne cesse de courir après l’argent. On pense à Adam Sandler, bijoutier endetté dans Uncut Gems des frères Safdie. Ou au regretté Jean-Pierre Bacri, lui aussi agent de foot dans Didier d’Alain Chabat. Même staccato, même fébrilité ambivalente, mi-drôle mi-inquiète. Jamel Debbouze a toujours du bagout, mais on est loin du one man show. L’acteur fait oublier le comique et a autour de lui un casting impeccable : Monia Chokri, Hakim Jemili, Vincent Rottiers, Stéphane Bak, Birane Ba et Milo Machado-Graner, qui a déjà bien grandi depuis Anatomie d’une chute.
Mercato confirme que les meilleurs films de sport se situent souvent loin des terrains. C’est particulièrement vrai avec le football, trop technique pour les acteurs, et pour lequel la télévision a plié le « game » en multipliant les caméras et les angles. Coup de tête, de Jean-Jacques Annaud, est crédible, sauf quand Patrick Dewaere joue avec l’équipe de l’AJ Auxerre – même le profane se rend compte que le comédien a les pieds carrés.
C’est pourtant au cœur du jeu, dans un Parc des Princes en fusion, que se déroule le dénouement de Mercato. Bentarek tient entre ses mains le destin de Driss. Ou plutôt entre ses pieds. Une reprise de volée est bien plus qu’un geste technique. Elle peut changer le cours d’un match, le marché des transferts et la vie d’un homme.
« Mercato ». Comédie dramatique de Tristan Séguéla. Avec Jamel Debbouze, Monia Chokri, Hakim Jemili, Milo Machado-Graner. Durée : 1 h 59
L’avis du Figaro : 3/4.