Ça commence mal. « Vous allez bien, Paris ? » « Faites du bruit, je ne vous entends pas. » « Je suis trop contente de vous voir. » Fanny Ruwet imite les jeunes pousses du Jamel Comedy Club. Heureusement, la suite de son « stand-up », intitulé On disait qu’on faisait la fête, est plus intéressante. Déjà, cette fan de Colt ne s’appuie plus sur une perche de micro comme dans son premier spectacle, Bon anniversaire Jean (2019, à voir ou revoir sur Canal+), il est fixé sur sa tempe. Voilà pour la forme.
Sur le fond, sans le savoir, l’ex chroniqueuse de France Inter qui officiait dans La Bande originale de Nagui est une héritière de Blanche Gardin, en plus léger si l’on ose dire, une sœur de Doully. Dans un cocktail détonant où se mêle désespoir et mélancolie, elle parle de bisexualité, de dérives psychologiques et autres, sans tabou, sans frein. On ne s’étonne pas qu’elle ait fait les premières parties de son compatriote Alex Vizorek ou de Kyan Khojandi (repéré avec la série Bref).
Trois fois dix ans
Fanny Ruwet pouffe en affirmant qu’elle déteste les enfants et imagine des raisons pour les éviter. L’idée que sa mère pourrait être dans la salle la fait se plier en deux. Elle se justifie en prévenant qu’elle a trois fois dix ans. On ajoutera une langue aussi aiguisée et caustique que son écriture. « La rigidité cadavérique ? Le gainage ultime », assure-t-elle. Fanny Ruwet a l’esprit ouvert à 190 degrés, elle avoue spontanément ses « péchés ». Elle aime se masturber mais pas à l’ancienne ; pourquoi « travailler » quand la technique est capable de vous envoyer au septième ciel ?
Issue de l’Institut des Hautes Études des Communications sociales (IHECS) et d’une École de Journalisme de Bruxelles, la trentenaire égrène ses confidences à la vitesse d’un pic-vert qui s’acharne sur le tronc d’un chêne. Elle adore boire et fumer de l’herbe pour se détendre. A priori homosexuelle, elle n’est pas contre « tester » des hommes et aime « trop » les « gens toxiques ». D’ailleurs, elle imagine une relation sexuelle qui se nouerait sur un site de rencontre avec... sa génitrice. Cette dernière n’a après tout que deux fois son âge.
La vie de Fanny Ruwet, auteure d’un drôle de roman Bien sûr que les poissons ont froid (collection Proche, mai 2024) n’a pas été simple. Ses parents se sont séparés à sa naissance. La fillette a revu son père pour la première fois à 8 ans. Elle a consulté plusieurs psychiatres. Ils l’ont aidée, mais cela ne suffit pas. Dans son précédent spectacle, elle s’interrogeait : « Qu’est-ce qu’une famille unie par rapport à une bonne vanne ? »
Adepte de l’autodérision, l’humoriste ne prétend pas prêcher la bonne parole. Elle conseille juste de s’écouter. Elle-même a du mal, mais la parole a quelque chose de miraculeux. Se produire sur scène vaut une séance chez le psy. Son talent lui permet de dépasser ses problèmes personnels pour les rendre universels. Qui n’a jamais connu de crise existentielle ?
» On disait qu’on faisait la fête, en tournée de janvier à décembre 2025 en France, en Suisse, au Luxembourg et en Belgique, et au Théâtre de l’Atelier à Paris, le 12 avril.