Fuite sur Signal : Mike Waltz et Tulsi Gabbard, des "amateurs" pour gérer la sécurité américaine ?
Au lendemain des révélations concernant le dévoilement par erreur de projets militaires par des hauts représentants de l'administration du président Donald Trump dans un groupe de discussion en ligne qui incluait un journaliste, des sénateurs américains ont interrogé, mardi 25 mars, les principaux responsables du renseignement américain.
Face à la commission du Sénat, la directrice nationale du renseignement Tulsi Gabbard est notamment passée sur le gril. "Directrice Gabbard, vous êtes la responsable sécuritaire qui met en place les consignes d'accès aux informations classifiées. Avez-vous contacté le ministre de la Défense ou d'autres personnes après le partage de ces plans militaires spécifiques pour dire 'Nous devrions le faire (dans un dispositif sécurisé)' ?", l'a ainsi interrogée le sénateur Mark Warner.
"Il n'y a pas eu d'informations classifiées partagées", a-t-elle affirmé lors de cette audition, refusant cependant d'"entrer dans les détails" ou de confirmer sa présence même dans cette boucle de discussion. Mark Warner a critiqué en retour le manque de transparence, selon lui, de la responsable, et l'a exhortée à partager le contenu des discussions, si effectivement aucune information classifiée n'avait été divulguée.
Le rédacteur en chef du prestigieux magazine The Atlantic, Jeffrey Golberg, a publié lundi un article dans lequel il raconte avoir été ajouté sans son accord à rejoindre le 13 mars un groupe de discussion sur la messagerie cryptée Signal appelé "Houthi PC small group" – "PC", pour "Principals Committee", fait traditionnellement référence aux plus hauts représentants sécuritaires. Il y détaille les échanges entre ces derniers sur un plan d'attaque militaire contre les Houthis du Yémen.
La Maison Blanche a confirmé l'authenticité de la chaîne de messages, mais a affirmé également qu'aucune information classifiée n'avait été dévoilée. Lors de son audition, Tulsi Gabbard a maintenu cette version, même si le site The Atlantic a depuis affirmé le contraire en publiant le contenu des échanges, qui comprend notamment des messages du ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, avec les horaires précis des frappes prévues contre le groupe rebelle du Yémen. Assaillie par les questions, elle a martelé : "Toute information que j’ai observée du point de vue du renseignement n’était pas une information classifiée."
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Une transfuge du Parti démocrate
Depuis la révélation de cette faille de sécurité spectaculaire, la directrice du renseignement, qui chapeaute 18 agences dont le FBI, la CIA et la NSA, est dans l'œil du cyclone. Mais cette Océanienne, née dans les Samoa américaines, fait des vagues depuis déjà plusieurs mois et l'annonce de sa nomination à ce poste par Donald Trump.
Tulsi Gabbard a pourtant été l'une des étoiles montantes du Parti démocrate en devenant à 21 ans en 2002 la plus jeune élue au Parlement d’Hawaï. Un an plus tard, elle rejoint la Garde nationale et sert douze mois en Irak dans une unité médicale.
À son retour, elle travaille pour un sénateur démocrate, puis est élue à la Chambre des représentants en 2013. Soutien de Bernie Sanders lors de l'élection présidentielle de 2016, elle tente même de briguer l'investiture démocrate pour la suite en 2020, avant d'abandonner la course lors des primaires et d'appuyer la candidature de Joe Biden.
Mais lors du dernier scrutin, Tulsi Gabbard change de camp et se rallie au candidat républicain Donald Trump. "C’est en raison de mon amour pour notre pays et, en particulier, en raison du leadership que le président Trump a apporté pour transformer le Parti républicain et le ramener au parti du peuple et au parti de la paix, que je suis fière de me tenir ici avec vous aujourd’hui, président Trump, et d’annoncer que je rejoins le Parti républicain", avait-elle déclaré en octobre dernier lors d’un meeting de l'homme d'affaires.
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Des positions polémiques
Ce virage politique n'est pas une surprise totale. Tulsi Gabbard fait déjà parler d'elle pour des prises de position controversées. En 2017, elle se rend en Syrie dans le cadre d'une "mission d'enquête" et rencontre le dirigeant Bachar al-Assad à deux reprises. Elle refuse de condamner les crimes de ce dernier, remettant en question l'utilisation par son régime d'armes chimiques, et affirme qu'il n’est "pas l’ennemi des États-Unis".
Au début de la guerre en Ukraine, elle crée aussi des remous en écrivant sur son compte X que "cette guerre et cette souffrance auraient pu être évitées si l’administration (de Joe) Biden et l’Otan avaient simplement pris en compte les inquiétudes légitimes de la Russie sur une possible entrée de l’Ukraine dans l’Otan". Régulièrement, elle se fait le relais de la propagande du Kremlin et critique les sanctions à l'encontre de Moscou. "Tulsi Gabbard ne fait que répéter comme un perroquet la propagande russe. Ses mensonges perfides pourraient bien coûter des vies", déclare en 2022 sur X le sénateur et ex-candidat républicain à l’élection présidentielle Mitt Romney.
L'annonce de sa nomination au poste si sensible de directrice du renseignement n'a donc pas manqué de susciter de vives inquiétudes. La sénatrice démocrate Elizabeth Warren a tiré la sonnette d'alarme, dénonçant son manque de qualification pour ce poste, et affirmé que ses discours favorables aux adversaires des États-Unis pouvaient compromettre la sécurité nationale. "Je suis profondément préoccupé par le passé de Tulsi Gabbard et par la question de savoir si on peut lui confier nos secrets", avait-elle ainsi résumé devant le Sénat américain. Malgré cette mise en garde, le Sénat l'a confirmée à ce poste le 12 février avec 52 votes pour et 48 contre, aucun sénateur démocrate n’ayant voté en sa faveur.
Un ancien membre des forces spéciales
Après la découverte des fuites sur le réseau Signal, Mike Waltz est lui aussi vivement critiqué. Le conseiller à la sécurité nationale a confirmé mardi sur l'antenne de Fox News être à l'origine de cet incident. "J’assume mon entière responsabilité. J’ai créé ce groupe", a-t-il déclaré. Il a cependant assuré qu'il ne savait pas comment le journaliste concerné Jeffrey Goldberg, qu'il a décrit comme de "la racaille de bas étage du journalisme", avait été ajouté à la conversation.
Mike Waltz a laissé entendre que le rédacteur en chef de The Atlantic avait pu délibérément essayer de s'infiltrer dans cette conversation entre des hauts représentants de l'administration américaine. "Je ne suis pas un théoricien du complot, mais de toutes les personnes qui existent, c’est ce type qui a menti sur le président […] qui, d’une manière ou d’une autre […], a été intégré sur ce groupe", s'est-il défendu en attaquant Jeffrey Goldberg.
Contrairement à Tulsi Gabbard, Mike Waltz a pourtant un peu plus d'expérience en matière de renseignement. Cet ancien membre des forces spéciales, quatre fois décoré de la Bronze Star, qui a servi en Afghanistan, a été un conseiller à la sécurité nationale du vice-président Dick Cheney dédié à la lutte contre le terrorisme sous la présidence de George W. Bush. Il a également fait fortune à la tête de Metis Solutions, une entreprise créée pour fournir des analyses stratégiques et un soutien en matière de renseignement et de formation au ministère de la Défense.
"Un putain d'idiot"
Après avoir profité de contrats très rémunérateurs pour la formation de forces spéciales en Afghanistan, il a vendu son entreprise. Chroniqueur pour Fox News, Mike Waltz s'est ensuite consacré à sa carrière politique au sein du Parti républicain. Il est devenu en 2018 le premier Béret vert élu au Congrès. Réélu en 2024 pour un quatrième mandat, il a été désigné quelques jours plus tard comme conseiller à la sécurité nationale par Donald Trump. Sa femme Julia Nesheiwat a également été conseillère à la sécurité intérieure au cours du premier mandat du milliardaire républicain.
Cette expérience ne l'a pas empêché de commettre cette lourde bévue avec le groupe Signal. Même si le président Donald Trump a apporté son soutien à son conseiller, assurant que c'est "un type bien" qui a "retenu la leçon", cette bourde pourrait lui coûter son poste. Selon le site Politico, Mike Waltz pourrait être contraint de démissionner. Ce faux pas permet à ses détracteurs, qui l'accusent d'être trop proches des néoconservateurs, d'exiger son départ. "Tout le monde à la Maison Blanche peut se mettre d'accord sur une chose : Mike Waltz est un putain d'idiot", a ainsi affirmé une source auprès de Politico.
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