Psychiatrie : de la grande cause à la grande désillusion

Un « plan psychiatrie » vient d’être rendu public par le Ministère de la santé, inscrit dans le cadre de la Grande cause portée par le gouvernement autour de la santé mentale. Très attendu par toute la communauté, aussi bien par les usagers de la psychiatrie que par les professionnels, ce plan a provoqué une immense déception, et pour ma part une profonde colère.

Rappelons pour commencer, s’il était encore nécessaire de le faire, que le système de soins en psychiatrie se trouve dans un état de crise majeure, consécutif à des années de sous-financement et de désintérêt des pouvoirs publics. Pour nos concitoyens qui en ont besoin, cela se traduit par des difficultés majeures voire insurmontables pour accéder aux soins et pour bénéficier de prises en charge adéquates. Et pour les professionnels par des conditions de travail extrêmement précaires les éloignant très souvent de leur vocation initiale.

Les rapports, enquêtes et témoignages s’accumulent dans ce sens depuis plus de 10 ans, et toute expérience individuelle permet d’en attester très rapidement : par exemple chercher un rendez-vous de consultation, partout sur le territoire, en psychiatrie d’adultes et, encore pire, en pédopsychiatrie. Dans le même temps, la prévalence des troubles psychiques augmente dans la population générale, en particulier chez les jeunes, et la libération de la parole, tout à fait légitime et souhaitable, contribue à faire croître la demande de soins.

L’actualité nous rappelle périodiquement que l’absence de soins psychiatriques peut conduire à des drames humains, en plus du coût financier majeur des maladies mentales non traitées (au moins quatre fois plus élevé que le coût des soins).

Depuis le début de l’année 2025, professionnels et usagers avons alerté sur le fait que la « grande cause » ne devait pas se limiter à un exercice de communication, utile certes pour sensibiliser la population et changer les regards mais totalement insuffisant pour répondre aux besoins criants de la psychiatrie publique. Et voilà la catastrophe redoutée : une liste de mesures sans aucun financement supplémentaire.

Ce plan se veut pourtant ambitieux et même grandiloquent : « Nous devons à la psychiatrie une réparation », « un plan de sursaut et de refondation », « un engagement durable, à la hauteur de ce que nous devons à celles et ceux qui vivent avec un trouble psychique, et à celles et ceux qui les soignent ».

Que contient donc ce programme ? Beaucoup de « mesures » et d’objectifs pertinents, car nous savons le Ministre sincère et bien conseillé, il a pu entendre les propositions que nous portons collectivement depuis longtemps. Certaines sont très concrètes et simples : par exemple plus de formations aux premiers secours en santé mentale, augmentation du nombre d’internes en psychiatrie, plus de filières psychiatriques dans les Services d’accès aux soins (SAS) et plus d’équipes mobiles et de centres de crises, très bien.

Mais ces actions sont forcément coûteuses, comment seront-elles financées si elles sont réellement mises en œuvre ? S’il s’agit de prendre sur des crédits existant, on peut craindre le pire pour les autres filières et secteurs, dont la plupart sont déjà sous-dotés. De même, quand il est indiqué que les Agences Régionales de Santé financeront des postes supplémentaires en Centres médico-psychologiques (rappelons qu’il en existe plus de 3 000 en France), sans moyen supplémentaire donc avec des « bouts de chandelles », on sait très bien qu’il ne s’agit là que des vœux pieux voire de l’escroquerie politique.

Faute de moyens et de personnels, l’idée forte est de développer des « formations » tous azimuts (sans dire non plus qui les assurera et avec quels moyens, si ce n’est des « kits de repérage et d’intervention précoce » !), visant à transformer les enseignants en ersatz de psychologues ou à utiliser les « viviers locaux » (quid ?) pour aider les médecins généralistes à prendre en charge les cas complexes, c’est-à-dire les plus difficiles. De même, il est très bien de proposer des stages et des formations supplémentaires aux étudiants en médecine pour les sensibiliser à la psychiatrie, mais qui va se charger de les encadrer alors que tous les hospitaliers et les hospitalo-universitaires croulent déjà sous les missions cliniques ?

La question des isolements et de la contention des patients pour les situations les plus graves est aujourd’hui, et à juste titre, au centre de beaucoup de débats en psychiatrie, avec l’objectif partagé de mettre fin ou de réduire fortement les mesures coercitives. Mais les solutions proposées dans le plan, comme souvent dans le discours officiel, n’évoquent que les pratiques et les formations nécessaires des professionnels (certes importantes), au risque de les culpabiliser alors qu’ils sont eux-mêmes directement exposés aux conséquences de ces situations douloureuses sans en être en rien responsables. Rien en revanche sur la question cruciale des effectifs en nombre insuffisants et celle des locaux souvent inadaptés, car évidemment cela nécessiterait des budgets dédiés…

Pourtant, nul besoin de créer une nouvelle commission ou de poursuivre les réflexions, comme cela est proposé, pour analyser les conditions de travail et améliorer l’attractivité de la psychiatrie pour les médecins et les autres professionnels. Beaucoup de psychiatres et de soignants ont quitté le service public car ils n’y trouvaient plus le sens voulu à cause du manque de moyens et de temps, et donc de personnels. Nous formons de nombreux jeunes intéressés par la psychiatrie, car c’est une très belle et riche spécialité.

Mais nous peinons à les fidéliser dans le secteur public pour les mêmes raisons : trop de travail, pas assez de temps autour des patients et en équipe, trop de glissements de tâches par manque de personnels administratifs, d’assistantes sociales, de support logistique (car oui, la prise en charge psychiatrique est globale et multidimensionnelle). Beaucoup de ces personnels partis ailleurs pourraient revenir si un vrai signal était envoyé : du respect, des moyens, des postes (car généralement, même quand tous les postes sont pourvus, les effectifs sont largement insuffisants) et donc un réel investissement de la nation.

Bien sûr un retard de 20 ou 30 ans ne peut être rattrapé en une seule année, et nous savons les difficultés budgétaires que notre pays traverse. Mais ce plan ne propose même pas d’objectifs de redressement échelonné, aucune vision pluriannuelle chiffrée avec une méthode pour corriger les pénuries.

Si l’année de la Grande cause n’est pas celle d’un effort financier légitime, quand cet effort adviendra-t-il ? Et si un grand pays comme le nôtre, même en temps de crise, ne peut pas dégager des moyens pour une priorité nationale, alors oui nous pouvons être inquiets, inquiets et en colère !

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