Israël : Yaïr Golan, le général droit dans ses bottes à la tête d’une gauche marginalisée

Le 20 mai, sur les ondes d’une radio publique israélienne,Yaïr Golan, ex n°2 de l’armée lance qu’ "un pays sain n'a pas pour hobby de tuer des bébés". Immédiatement, les réactions fusent. Benjamin Netanyahu et la droite israélienne le qualifient "d’antisémite", le ministre de la Défense dit vouloir interdire à celui qui a servi 38 ans sous le drapeau israélien "de porter l'uniforme de Tsahal et d'entrer dans les bases militaires" et le ministre de la Justice entend le dégrader et lui retirer ses galons de général.

Yaïr Golan, militaire de carrière, a été élu en mai 2024 à la tête du Parti travailliste israélien, rebaptisé "Les Démocrates" le mois suivant. Mais le parti des fondateurs de l’État hébreu a perdu sa splendeur d’antan. Aux dernières élections législatives, en 2022, il obtient 3,7 % des voix et quatre députés. Trente ans plutôt, les travaillistes, avec à leur tête Yitzhak Rabin, rassemblaient 34,7 % des suffrages.

Yair Golan alors chef d'État major adjoint de l'armée israélienne (en uniforme, à droite) avec le secrétaire à la Défense américain Ash Carter (au centre), en 2015.
Yaïr Golan alors chef d'État major adjoint de l'armée israélienne (en uniforme, à droite) avec le secrétaire à la Défense américain Ash Carter (au centre), en 2015. AP - Carolyn Kaster

"Yaïr Golan est fondamentalement sioniste" rappelle Fredéric Encel, géopolitologue spécialiste du conflit israélo-palestinien. "Ce n'est pas un trotskiste, c'est quelqu'un qui a défendu Israël les armes à la main". 

Pour le chercheur, les attaques dont il fait l’objet visent avant tout les idées de la gauche israélienne "à l’ancienne". "Yaïr Golan est favorable au processus de paix d'Oslo des années 1990 et à la solution à deux États. Il est laïc et très fortement opposé à l'emprise de plus en plus importante du religieux sur le politique, notamment du mouvement ultra orthodoxe qui s'est systématiquement allié aux gouvernements Netanyahu."

Un climat de haine dirigée contre la gauche

Deux jours après ses déclarations sur la santé mentale de son pays, Yaïr Golan récidive. Après l'attaque devant le Musée juif de Washington qui a coûté la vie à deux jeunes employés de l'ambassade israélienne aux États-Unis, il estime sur X que le gouvernement Netanyahu "alimente l'antisémitisme et la haine envers Israël (...) mettant en danger chaque Juif à travers le monde".

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Quelques jours plus tard, lors d’une conférence universitaire le 27 mai, des participants apostrophent le général à la retraite et le qualifie de "traître". Abruptement, Yaïr Golan leur rétorque que "pendant que vous vous cachiez dans des abris, je me suis rendu au festival Nova pour sauver des gens. Et maintenant, vous me traitez de traître ? Vous devriez avoir honte. Vous ne connaissez rien d'autre que la haine".

Le 7 octobre 2023, le courage de Yaïr Golan avait été célébré dans tout le pays. Au volant de sa Toyota personnelle, armé d’un fusil mitrailleur, il avait réalisé trois allers retours pour évacuer des participants à la rave party qui tentaient d’échapper aux militants du Hamas.

Les déclarations de Yaïr Golan

"Israël est en passe de devenir un État paria, comme l'était l'Afrique du Sud, si nous ne revenons pas à agir comme un pays sensé. Un pays sensé ne combat pas contre les civils, ne tue pas les bébés par hobby, et ne se fixe pas pour objectif d'expulser des populations." 20 mai 2025.

“Ce gouvernement est rempli de personnages malveillants, stupides et immoraux. Ces ministres sont tout simplement horribles. Il n'est pas possible que nous, le peuple juif, qui avons subi des persécutions et des pogroms, devenions ceux qui font cela aux autres". 20 mai 2025.

"Il est inacceptable que nous reprenions les combats à Gaza, et que les objectifs politiques fixés à Tsahal soient façonnés par des gens [le gouvernement israélien, NDLR] avec une telle vision du monde." 24 mai 2025.

“Un gouvernement qui affirme qu’on peut abandonner des otages et qu’il faut affamer des enfants est un gouvernement qui parle comme un porte-parole du Hamas”. 24 mai 2025.

 

Près de 20 mois plus tard, le gouvernement ultra nationaliste de Benjamin Netnayahu fait désormais de Yaïr Golan comme de toute voix critiquant sa conduite de la guerre à Gaza des "traitres" et des "antisémites".

"Je pense que cet épisode illustre la dérive d'une grande partie de la droite israélienne. Dans les années 1980, quand le rabbin raciste Meir Kahane montait à la tribune de la Knesset, le Premier ministre de droite nationaliste Yitzhak Shamir quittait l'hémicycle" rappelle Frédéric Encel. "Depuis une trentaine d'années, il y a une brutalisation de la vie politique orchestrée par la droite israélienne. Je pense que le moment déclencheur du phénomène, c’est l'assassinat de Yitzhak Rabin."

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Premier ministre travailliste entre 1974 et 1977 puis de 1992 à sa mort en 1995, Yitzhak Rabin fut l’un des signataires des accords d’Oslo. Un engagement qu'il paya de sa vie, assassiné par un extrémiste. Pour Frédéric Encel, Smotrich et Ben Gvir, les ministres d'extrême droite alliés à Netanyahu, peuvent être considérés comme des héritiers de cette violence. "Ben Gvir est un ancien voyou, un kahaniste (un héritier de Meir Kahane, NDLR), un extrémiste fascisant. Smotrich tient, lui, des discours d'une violence politique et raciste indigne d'une démocratie", détaille le géopolitologue.

Un sioniste de gauche qui ne sait plus "parler juif" ?

Elie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France proche du parti travailliste, fait lui aussi le constat d'un climat politique en Israël devenu hautement inflammable. Sur France Inter, le 3 juin, il évoque dans son pays une "atmosphère de guerre civile latente. Ça va se terminer dans une explosion de violence, je n'en doute pas une seconde."

L’historien, tout comme Yaïr Golan, appartient à une génération de sionistes de gauche devenue aujourd’hui inaudible dans la vie politique israélienne. "Les Démocrates" n’obtiendraient qu’entre 9 à 13 sièges (sur 120) au Parlement en cas d'élection, selon un récent sondage.

Le désamour des Israéliens pour leur projet politique tient à une multiplicité de facteurs : l’échec du processus de paix d’Oslo, l’arrivée d’un million de juifs russes dans les années 1990 viscéralement hostiles à la gauche, mais aussi la gentrification du parti associé désormais aux élites de l’armée ou du high tech. 

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Pour Frédéric Encel, il faut ajouter à ce panorama le fait que "le Parti travailliste n'a jamais réussi à avoir un discours précis sur l'État palestinien. Le Likoud, lui, tient un discours tout à fait clair : c'est le grand Israël de la mer au Jourdain et le refus d’un État palestinien. Les travaillistes, eux, ont louvoyé".

Pour Elhanan Miller, jeune rabbin israélien, le problème de la gauche israélienne est qu’elle ne sait plus "parler juif." Dans les colonnes du quotidien de gauche Haaretz, il rappelle que selon le Bureau central des statistiques d'Israël, 58 % des Juifs israéliens se disent religieux en 2022. Un phénomène que Netanyahu a bien compris, en portant la kippa autant que possible en public.

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La gauche israélienne doit selon le rabbin Miller se réapproprier le religieux pour retrouver le contact avec l’électorat. Elle devrait, selon lui, rappeler que "la loi juive a élaboré un code pour combattre les guerres de manière morale." Elle interdit un siège qui provoque "la famine, la soif et la mort par maladie" (Midrash Sifrei Shoftim 199). Elle interdit la destruction des arbres fruitiers et exige qu'un siège ne soit pas hermétique, mais qu'il permette aux innocents de s'échapper (Maïmonide, Lois des rois et des guerres, 6:7-8).  

Il ajoute qu’ "il serait insensé de prétendre que toutes les sources juives classiques sont humanistes (...). Mais la gauche ne devrait pas abandonner le débat aux interprétations les plus extrêmes du judaïsme."

Le rejet de Netanyahu peut-il relancer la gauche ?

Qu’il sache parler juif ou non, l’humanisme a profondément reculé dans la société israélienne après les attaques du 7 octobre 2023 qui visaient la gauche pacifiste des kibboutz et des fêtes techno. Celle-ci semble aujourd’hui incapable d’éprouver de l’empathie envers les dizaines de milliers de Palestiniens morts dans la bande de Gaza.

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Le 9 mai une ONG israélienne "It’s Time For a Just Peace" est parvenu à réunir 5 000 militants à Jérusalem pour appeler à la fin de la guerre à Gaza, à la libération des derniers otages et à la recherche d'une solution à long terme au conflit israélo-palestinien.

Une journaliste du Jerusalem Post venu couvrir la manifestation a décrit l’événement, avec une certaine ironie : "À une époque où le terme ‘gauchiste’ est devenu une insulte, les participants ont eu l'impression de gagner en force rien qu'en étant ensemble. J'ai demandé à un ami présent, Jared Goldfarb, enseignant et militant, s'il pensait qu'il existait encore une gauche en Israël. ‘Bien sûr’, m'a-t-il répondu ‘elle est réunie dans cette salle’ " !

Aussi faible soit-elle, la gauche israélienne attend sans doute des jours meilleurs pour redevenir une alternative politique crédible. L’extrémisme de Benjamin Netanyahu dans la conduite de la guerre, ses multiples attaques contre le système démocratique tout comme les soupçons de corruption qui pèsent sur lui pourraient ouvrir un chemin électoral à la gauche alliée aux partis du centre de Yaïr Lapid ou Benny Gantz.

Optimiste, Frédéric Encel, qui vient de signer un ouvrage intitulé "La guerre mondiale n'aura pas lieu, les raisons géopolitiques d'espérer", estime qu’ "il y aura des élections dans un an et demi au plus tard et je pense que Yaïr Golan peut obtenir jusqu'à 15 ou 20 députés, ce qui en Israël est absolument considérable. Moi je crois beaucoup, dans un an et demi au plus tard, à une coalition de grand centre, peut être avec Golan".