«Depuis le début, Flow est un film touché par la grâce»

C’est l’histoire d’un petit chat noir devenu l’un des plus chanceux du cinéma d’animation actuel. Il ne porte pas de nom mais sa silhouette a fait le tour du monde depuis qu’il a décroché successivement un Golden Globe, un César et un Oscar. Et ce, au nez et à la barbe de grands favoris tels Vice Versa 2 ou Le Robot sauvage...

Premier film indépendant sans dialogues, au budget modique de 40 000 euros, à obtenir un Oscar à Hollywood, Flow Le chat qui n’avait plus peur de l’eau de Gints Zilbalodis s’apprête à ressortir en France sur 200 écrans. Il est aussi disponible aux formats Blu-ray et DVD ainsi qu’en VOD sur toutes les plateformes. L’occasion de revenir sur le destin hors-norme de ce film d’animation surprenant, développé sous la houlette de Ron Dyens, producteur français avisé et fondateur de la société Sacrebleu, en 1999.

LE FIGARO. - Comment avez-vous découvert Gints Zilbalodis ?

Ron DYENS. - J’ai été littéralement hypnotisé par la vision de son premier film Away que j’ai découvert au festival international d’animation d’Annecy en 2019. Il y avait déjà une sorte de lenteur, et comme la sensation de pouvoir observer un rêve en train de se dérouler. Cette première œuvre était déjà très aboutie. Créé par le jeune artiste letton Gints Zilbalodis, ce film déjà sans dialogues avait été réalisé par lui tout seul dans son coin. Away a obtenu le Grand Prix Contrechamp à Annecy. C’est à cette époque que je le contacte. Il me révèle qu’il travaille sur un nouveau film sans dialogue mettant cette fois en scène un petit chat noir évoluant dans un monde étrangement similaire au nôtre, mais submergé par l’eau. Je lui propose alors de développer son projet dans le cadre de la société Sacrebleu Productions.

Comment vous y êtes-vous pris pour financer le projet de Flow ?

Cela n’a pas été facile au début. Il fallait réussir à convaincre des financiers de se détacher d’une grille de lecture classique, à les éloigner de leur zone de confort. Conçu sur Blender, un logiciel polyvalent permettant de mener rapidement des projets de modélisation et d’animation, le film de Gints ne comporte pas de dialogues et «n’anthropomorphise» pas les animaux qu’il met en scène, contrairement à ce qui se fait dans l’animation depuis de nombreuses décennies. C’est aussi un film intimiste, qui vise à mettre en transe le spectateur. Dans mon argumentation, j’ai pris deux exemples symboliques : The Artist et La Haine. J’ai mis en évidence que ces deux films emblématiques et novateurs, en noir et blanc, avaient tout de même marqué l’histoire du septième art parce qu’ils étaient différents.

C’est tout?

Non, Flow possède aussi beaucoup d’arguments de séduction en sa faveur, ne serait-ce que parce qu’il s’agit d’un petit chat très mignon, un élément qui rallie le plus grand nombre.

Comment avez-vous orchestré la sortie du film, après Cannes et Annecy?

Je me suis dit qu’il fallait créer une sorte de communauté autour du film. Nous avons même fabriqué des Pin’s avec l’inscription : «I Saw it». Personnellement, j’ai senti une sorte de plénitude spirituelle en sortant du film. Je savais que Flow provoquait des réactions fortes. Il fallait répandre la bonne parole du film. Il porte en lui de belles valeurs. Il part du principe que le monde court à sa perte mais qu’il faut être fort, souple, robuste et qu’il convient de s’entraider pour ne pas couler. Ce n’est pas la peine de résister aux sombres changements qui arrivent. Disons plutôt qu’il faut les accompagner. C’est ce que dit le film. Un peu comme dans l’ouvrage d’Olivier Hamant La troisième voie du vivant.

Comment avez-vous vécu le triplé historique des récompenses obtenues par le film, aux Golden Globes, aux César, puis aux Oscar?

Au risque de paraître présomptueux, je n’ai pas autant été surpris que ça. Même si tout n’était pas joué d’avance, j’avais le sentiment que c’était presque inévitable. Quand le film est sorti aux États-Unis, nous avons eu des critiques dithyrambiques. Flow cumule actuellement 20 millions de dollars au box-office mondial. Il vient juste de sortir en Chine et a fait 150.000 entrées en un seul week-end. Sa séduction est puissante. Il s’agit d’un film international. Sa générosité se transmet. À mesure que les gens vivent un cauchemar, ils se réfugient dans le film. Je crois fermement que depuis le début, Flow est touché par la grâce. Et ce n’est qu’un début...