«Ma femme ne veut plus en entendre parler» : à Marseille, une immense escroquerie immobilière d’un milliard d’euros au tribunal

« Enfin ». Devant la salle des procès hors normes du tribunal correctionnel de Marseille, Jean Imbert ne cache pas son soulagement. Ce Marseillais de 75 ans attend ce jour depuis plus de 20 ans. Sa femme n’a pas pu l’accompagner. « Elle est en dépression depuis tout ça, souffle-t-il. Elle ne peut pas venir à ce procès. Elle ne veut plus entendre parler de cette histoire.» Comme Jean Imbert, ils sont près de 760 parties civiles à attendre depuis des décennies ce procès titanesque, au cours duquel 15 prévenus, dont un avocat et trois notaires, et une société morale sont appelés à comparaître à la barre.

Rarement la salle des procès hors normes n’a été aussi pleine à l’ouverture des débats. Le dossier pèse 110 tonnes. Une trentaine de cartons aux pieds de la présidente témoignent aussi de l’épaisseur d’un dossier dans lequel on ne trouve pas moins de 110 avocats. Tous sont venus à l’ouverture du procès de la société Apollonia, accusée d’avoir orchestré une vaste escroquerie immobilière, au préjudice évalué à près d’un milliard d’euros. Parmi les principaux prévenus figurent cette société de gestion de patrimoine basée à Aix-en-Provence mais aussi ses fondateurs : Jean Badache, ancien commerçant, sa femme Viviane, esthéticienne de profession, et leur fils, Benjamin Heysen-Badache, un temps aux commandes de l’entreprise.

« L’approche du tribunal est plutôt d’examiner le processus commercial qui a conduit à ce qu’un si grand nombre de personnes ait déposé plainte et d’en comprendre les raisons », déclare à l’ouverture du procès la présidente du tribunal, après avoir expliqué avoir conscience des « conséquences » de la lenteur judiciaire dans ce dossier. Les victimes comme Jean Imbert sont majoritairement des professionnels de santé plutôt aisés qui sont entrés dans ce cercle infernal des clients d’Apollonia par le bouche-à-oreille au début du XXIe siècle. « Il y a un ciblage de personnes qu’on décrit comme ayant des revenus, résume Jean Imbert. Ce sont surtout des gens qui ont fait dix ans d’études, pour devenir des médecins, et qui dans le cadre professionnel ont l’habitude d’accorder la confiance et qu’on leur accorde la confiance réciproquement. »

«Herméticité»

Après recommandation par d’autres clients, ces investisseurs étaient contactés par des commerciaux, qui convenaient ensuite d’un rendez-vous entre le potentiel investisseur et le dirigeant de la société aixoise, Jean Badache. Devant les enquêteurs, les victimes racontent vivre la même expérience étrange. Jean Badache éludait les questions sur le montage exact du financement, de sorte à instaurer une « herméticité » sur le dispositif particulier. En revanche, non sans une certaine « agressivité » selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel, Jean Badache incitait avec empressement ses clients éligibles à investir massivement dans le dispositif des loueurs meublés professionnels, fiscalement avantageux, leur proposant une formule clé avec une promesse alléchante, laissant planer le bénéfice d’un véritable Graal financier.

Le mécanisme semblait en effet d’autant plus attractif que «les effets combinés de ces avantages fiscaux et des revenus tirés de la mise en location des biens étaient censés» garantir aux clients «l’autofinancement des acquisitions, leur permettant de se constituer, quasiment sans bourse délier, un important patrimoine à l’orée de leur retraite», selon le juge d’instruction dans son ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel de Marseille. Mais les revenus promis n’étaient pas au rendez-vous.

« Le discours est parfaitement adapté à chacun, analyse Jean Imbert, qui est aussi le vice-président de l’association de défense des victimes de loueurs en meublés. Il présente des choses qui semblent en apparence cohérente pour des gens comme nous qui n’y connaissent rien en investissement locatif. Il nous est présenté un package qui comprend parmi les plus grosses banques du pays, un des notaires les plus importants de la région, un cabinet d’expertise comptable spécialisé dans ce type de logements, un avocat fiscaliste et un promoteur immobilier parmi les principaux. »

Des ventes pour 950 millions d’euros

Au final, de 1997 à 2009, la société aixoise aura procédé à la vente de 5305 biens immobiliers pour près de 950 millions d’euros. Pour Jean Imbert, tout a commencé en 2003. Après un rendez-vous avec le directeur de la société, Jean Badache, on promet à Jean Imbert que son dossier, constitué notamment de ses revenus, va être étudié. « Mais en réalité, il n’y a pas d’étude de votre dossier, soupire Jean Imbert. Ils prennent ces documents et ils les envoient à plusieurs banques pour faire plusieurs demandes d’emprunt, sans qu’elles le sachent. » Dans certains cas, les documents auraient par ailleurs été falsifiés pour pouvoir contracter plusieurs emprunts. Pour le couple Imbert, un premier lot de quatre appartements est acheté par le couple par l’intermédiaire de la société, puis un second lot de la même quantité. « En un mois, on s’est retrouvé avec huit appartements. »

Quelques années plus tard, Jean Imbert et sa femme commencent à avoir un doute avant de constater l’évidence : ils ont été floués et les voilà criblés de dette. « On a commencé l’année 2005 avec moins 12.000 euros, sans avoir commencé à manger ou se loger, regrette Jean Imbert. En 2008, au moment où l’on a arrêté de payer les banques, on était à moins 47.000 euros. Aujourd’hui, on est à moins 240.000 euros rien que pour une seule banque. »

Un moment mises en cause, des banques partenaires de l’opération se sont constituées partie civile dans ce dossier. La commission de 15% (sur le prix de vente) perçue par les époux Badache leur a permis de mener grand train. Au cours de l’enquête plus de 7,5 millions leur ont été saisis ainsi que trois biens en France et un au Maroc, sans compter de nombreux objets de luxe. Renvoyés notamment pour escroquerie en bande organisée, blanchiment aggravé, faux et usage de faux, ils risquent jusqu’à 10 ans de prison et un million d’euros d’amende.

«Nous avons toujours dit qu’il n’y avait aucune manœuvre frauduleuse», martèle Me Frédéric Monneret, avocat de la famille Badache. «Pour qu’il y ait escroquerie, il ne faut pas qu’il n’y ait que mensonge. Après, il y a peut-être eu un argumentaire commercial que l’on peut considérer comme excessif. Mais il faut démontrer la manœuvre frauduleuse qui en l’espèce n’est absolument pas établie.» Le procès est prévu pour durer jusqu’en juin prochain.