Colombie : Álvaro Uribe condamné à 12 années d’assignation à résidence
L’ancien président colombien Álvaro Uribe (2002-2010) a été condamné vendredi 1er août à douze ans d’assignation à résidence pour entrave à la justice et corruption de témoins, devenant le premier ex-chef de l’État du pays sud-américain condamné et privé de liberté.
Âgé de 73 ans, le responsable politique d’extrême droite s’est ainsi vu infliger la peine maximale à l’issue d’une audience à laquelle il a pris part de manière virtuelle, et qui faisait suite à sa déclaration de culpabilité tombée le lundi 28 juillet dernier pour avoir tenté de faire pression sur un ancien paramilitaire. Débutée en 2018, l’enquête avait déterminé que l’accusé avait non seulement encouragé et incité à faire de faux témoignages, mais qu’il l’avait fait de manière systématique et organisée, en utilisant des tiers pour manipuler des témoins afin de « discréditer les accusations (le liant à des milices paramilitaires d’extrême droite), fabriquer des versions favorables et tromper la plus haute instance pénale du pays : la Cour suprême », selon le communiqué diffusé samedi 2 août par l’organisation de défense des droits humains Cajar, représentante d’une des victimes d’alvaro Uribe dans le procès.
La décision de la justice annonçant la culpabilité d’Uribe avait été très largement célébrée à travers le pays, et tout particulièrement dans les rangs d’organisations civiles ainsi que de la gauche locale et latino-américaine.
« Ce n’est que le début ; l’histoire jugera toutes les horreurs commises par Uribe » avait déclaré sur X l’association des mères des « faux positifs », nom donné aux exécutions extrajudiciaires – des assassinats qui dépasseraient les 6 000 victimes – visant principalement des personnes socialement défavorisées et perpétrées par la police et l’armée. Un phénomène promu par Álvaro Uribe lorsqu’il dirigeait d’une main de fer le pays, visant officiellement à lutter contre la guérilla dans le cadre de la stratégie dite de « sécurité démocratique ».
Une victoire dédiée aux victimes de disparitions forcées, de tortures, jetées dans des fosses communes…
Homicides, disparitions et déplacement forcés, narcotrafic voire même génocide : les groupes armés d’extrême droite – vis-à-vis desquels Álvaro Uribe tente par tous les moyens de se démarquer malgré les nombreux liens déjà amplement répertoriés – sont responsables d’innombrables violations des droits humains visant bon nombre de civils dans le cadre du sanglant conflit armé qui a déchiré le pays durant plusieurs décennies.
« Nous dédions cette victoire aux mères des jeunes victimes de disparitions forcées, de tortures, jetés dans des fosses communes ou présentés aux médias comme de “faux positif“», avait déclaré lundi dernier le sénateur de gauche Iván Cepeda, contre qui l’ancien président Uribe avait, en 2012, intenté un procès devant la Cour suprême, en l’accusant d’avoir ourdi un complot pour le lier à tort aux groupes paramilitaires.
Toutefois, cette juridiction avait décidé de ne pas poursuivre le sénateur Cepeda, préférant se pencher sur les accusations pesant sur l’ex-président. Une enquête qui s’est réorientée vers un cas de manipulation de témoin et qui s’est finalement soldée par la décision de culpabilité prononcée lundi 28 juillet, complétée le vendredi par la condamnation à douze ans d’assignation à résidence assortie d’une interdiction d’exercer toute fonction publique pendant plus de huit ans. Álvaro Uribe devra aussi s’acquitter d’une amende équivalant à environ 720 000 euros.
« Tout le mal qu’Uribe a fait au pays… »
« Bien que les délits (pour lesquels Álvaro Uribe a été condamné) n’ont pas de lien direct avec les véritables raisons pour lesquelles nous souhaitons le voir condamné – comme les 6 402 jeunes exécutés extrajudiciairement, la formation de groupes paramilitaires qui ont commis nombre d’atrocités et de massacre – tous ses méfaits sont présents à travers ce jugement », a exposé dans un éditorial le site Voz. « Cette condamnation représente le début d’une réparation, même indirecte, pour tout le mal qu'(Uribe) a fait au pays », a continué l’organe de presse du parti communiste colombien, soulignant un verdict qui punit non pas seulement un homme mais « le système narco-gouvernemental, corrompu et criminel qui croyait que son règne était éternel, une élite et les pouvoirs traditionnels à qui il ne faut pas laisser le pouvoir de gouverner et d’assassiner à nouveau ».
Álvaro Uribe a de son côté annoncé qu’il faisait appel de cette décision, que sa défense considère comme politisée et prise sous la pression de la gauche au pouvoir. Le Centre démocratique, parti que dirige l’ancien chef de l’État, a appelé à manifester le 7 août pour défendre « un homme innocent ».
La juge en charge du procès menacée
Mais alors que cette décision de justice n’est que la partie émergée de l’iceberg – d’autres enquêtes reliant Álvaro Uribe aux escadrons d’extrême droite sont en cours, notamment en Argentine où une plainte pour crime contre l’humanité a été déposée contre lui pour son implication dans l’affaire des « faux positifs » – celui-ci a pu trouver un soutien indéfectible de la part de figures de droite latino-américaines. Dans une lettre ouverte publiée vendredi dans le journal conservateur colombien Semana, vingt-huit ex-présidents de droite ont, au nom du Groupe Liberté et Démocratie mis en garde l’ONU, l’Organisation des États américains et à la Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) contre les « graves atteintes à ses droits humains » qu’aurait subi Uribe, « un Colombien exemplaire », lors de son procès.
Parmi ces signataires, les ex-présidents Iván Duque (Colombie), Mauricio Macri (Argentine), Lenín Moreno et Guillermo Lasso (Équateur), Vicente Fox et Felipe Calderón (Mexique), Juan Guaidó (Venezuela) mais aussi les Espagnols José María Aznar et Mariano Rajoy. Le secrétaire d’État américain Marco Rubio s’était aussi exprimé en faveur de l’ex-président Colombien, quelques jours auparavant, ce que l’actuel président Colombien Gustavo Petro avait qualifié d « ingérence dans les affaires judiciaires (de son pays et) une atteinte à la souveraineté nationale ».
Après l’annonce de la condamnation, la juge en charge du procès s’est vue attribuer par les autorités une protection personnelle renforcée ainsi qu’à sa famille, après avoir reçu des menaces de la part d’un ancien paramilitaire la visant directement tout comme la révélation, sur les réseaux sociaux, du domicile de certains de ses proches.
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