IA et management : et si la technologie permettait aux chefs d'équipes de se concentrer sur l'humain ?

L'intelligence artificielle pourrait-elle devenir une alliée des rapports humains dans le monde du travail ? En permettant aux chefs d'équipes d'automatiser certaines tâches rébarbatives, l'IA est vue par certains spécialistes du monde du travail comme une opportunité de consacrer davantage de temps aux salariés. Pour Charles Aymard, chercheur et consultant en management, l'IA va permettre aux managers de gagner un temps considérable et de développer des compétences relationnelles plus importantes.

franceinfo : L'IA se substitue déjà à de nombreux métiers dans différents secteurs. Pourrait-elle remplacer le rôle de manager ?

Charles Aymard : D'après une étude d'EY de 2023, l'intelligence artificielle est perçue par 65 % des directeurs généraux comme une opportunité d'améliorer l'efficacité opérationnelle. Est-ce que pour autant ça remplacera le rôle de manager ? Je ne pense pas. Tant qu'on conduit un groupe d'êtres humains, le manager a encore sa place. À partir du moment où on pilote des individus, on s'appelle un manager. Sinon, si on pilote uniquement des machines, on est un programmateur ou un informaticien.

En revanche, le rôle du manager va être amené à évoluer. Sur la partie création des objectifs, suivi des indicateurs, il va pouvoir s'appuyer sur l'IA. Et ce temps, que le manager gagne grâce à l'IA, va lui permettre de redonner plus de place à l'humain.

On dit souvent qu'avec l'apparition de l'IA, l'humain est obligé de développer de nouvelles compétences. Le relationnel en fait-il partie ?

Sur l'aspect technique on est dépassés. Par contre, pour le savoir-être, les compétences émotionnelles, l'IA ne pourra pas remplacer le manager. Ce qui ressort des discussions entre chercheurs et praticiens, c'est que le temps gagné doit être réinvesti dans la gestion des collaborateurs et notamment ceux dont l'emploi est menacé par l'IA. Est-ce qu'on les forme ? Est-ce qu'ils quittent la boîte ? S’ils quittent la boîte, comment on les réoriente ? Si on les forme, on les forme comment ?

L'aspect humain du rôle de manager a des implications concrètes. Il va falloir des soft-skills, des compétences relationnelles, pour accompagner ce changement. Par ailleurs, on n'est pas obligés d'adopter l'IA, il faut se demander ce qu'on confie ou pas à l'IA. Rien ne nous empêche de ne pas tout confier à l'IA.

"On parle souvent de quête de sens. Je ne suis pas convaincu qu'être piloté par l'IA nous permette de retrouver cette quête de sens au travail."

Charles Aymard

à franceinfo

Est-ce que le développement de l'IA est pensé, abordé dans les entreprises françaises ?

C’est un phénomène émergent qui est tellement important qu'on ne peut pas faire de diagnostic précipité. Vous voyez l'émoi que cela suscite. C'est abordé dans les entreprises mais l'enjeu premier c'est de poser un diagnostic, un consensus temporaire sur les avantages, les inconvénients et les implications de l'IA en entreprise. Une fois qu'on aura ce consensus, ça permettra d'aller entreprise par entreprise pour établir quels postes sont menacés et quelles sont les directions à prendre.

Les entreprises françaises y travaillent, les chercheurs aussi. On est très prudents sur le sujet. De fait, on prend du retard mais on verra, à terme, si cette prudence sera salvatrice. Si c'est pour courir plus vite vers le précipice, ce n'est pas un retard. Si c'est prendre du retard pour penser des solutions pérennes, alors ce sera bénéfique.