L’œil de l’INA : quand Émilie Dequenne confiait son amour de la vie



À l’émotion unanime provoquée par l’annonce de la disparition d’Émilie Dequenne s’ajoutent les larmes qu’il est impossible de ne pas verser quand on découvre ou l’on redécouvre, à travers des archives télé, sa joie de vivre, sa force et la simplicité dont elle n’a jamais cessé de faire preuve tout au long de sa trop courte carrière. Il y a d’abord ces sanglots qu’elle ne parvient pas à arrêter lorsque le 23 mai 1999, à Cannes, elle monte sur la scène du Palais des Festivals et remercie ses parents ,juste après avoir reçu des mains de Johnny Hallyday, le prix d’interprétation féminine. Le jury le lui a décerné à l’unanimité, convaincu que Rosetta était un film exceptionnel.

À cet instant, dans la salle, les frères Dardenne sont tout aussi bouleversés. Ils ignorent encore que quelques minutes plus tard, la Palme d’or va également être attribuée au film qu’ils ont réalisé. Personne ne l’imaginait le matin même. Au cours du Journal de 13 heures de TF1, présenté par Claire Chazal, les rumeurs de la Croisette assurent que trois favoris se dégagent et que tout se jouera entre eux : Pedro Almodovar, David Lynch, et Takeshi Kitano. On ne parie pas sur cette adolescente discrète dont on a néanmoins remarqué le talent. Elle mérite peut-être un encouragement sous la forme d’une récompense aussi modeste soit-elle. Le lendemain, celle qui, en quelques instants, est passée du stade d’inconnue à celui de star mondiale, fait l’ouverture du même journal de TF1 à 13 heures en affichant un étonnant mélange de timidité et de détermination. « Je veux grandir et devenir une grande parmi les grandes » déclare-t-elle, entourée par des frères Dardenne, aussi attentionnés et affectueux que des parents adoptifs. 

Au mois d’octobre suivant, lors de la sortie officielle du film sur les écrans, elle quitte sa Belgique natale pour découvrir Paris, où en quelques jours elle va donner plus d’une centaine d’interviews. Le choc de ce succès inattendu est passé et, c’est avec une assurance qu’on ne lui connaissait pas qu’elle raconte son parcours et ses espoirs. Le sourire qu’elle affiche alors va demeurer sa marque de fabrique, à chacune de ses apparitions sur le petit écran. INA- Madelen vous propose l’une d’entre elles, diffusée le 3 mai 2010 sur France 2, dans l’émission Des mots de minuit. Philippe Lefait l’interroge sur son rôle dans Mon Tibet, une pièce qu’elle commence à jouer à Paris. Elle semble d’autant plus à l’aise qu’elle évoque l’univers à l’origine de sa vocation : elle a découvert le théâtre dans ses très jeunes années grâce à ses parents qui l’ont emmenée voir des classiques et des comédies.

Décidée à exercer un jour un métier pour lequel elle avait éprouvé un véritable coup de foudre, c’est au lendemain de ses 8 ans qu’elle commence à prendre des cours de diction et de déclamation. Ses débuts sur des petites scènes belges lui valent, à 17 ans, le prix de déclamation du Festival de Mons. C’est à cette période que sa tante repère, dans un journal, l’annonce d’un casting pour le prochain film des frères Dardenne. Elle ne connaît rien à cet univers, mais pourquoi ne pas tenter sa chance, même s’il y a, au départ, 3000 postulantes qui ont adressé leurs photos. « Quand on m’a dit que nous n’étions plus que deux, j’ai répliqué que nous étions encore deux », racontait-elle avec un sourire que la maladie ne lui a jamais fait perdre. « « Ne croyez pas pour autant que ce que je vis est un conte de fées. C’est le résultat d’énormément de travail !», avait-elle ajouté au lendemain de ses premiers succès .

Elle se considérait à la fois comme une femme responsable, et une enfant émerveillée en permanence par les rôles qu’on ne cessait de lui proposer : des tragédies, mais aussi des comédies parce que, de temps à autre, elle ressentait un véritable besoin de légèreté. Elle confiait aussi être affamée, assoiffée, boulimique de la vie, désireuse de faire tout ce qui lui plaisait, de tout essayer. « Autrement, à quoi ça sert de vivre ? », concluait-elle, sans imaginer alors qu’un mauvais destin allait l’empêcher d’aller jusqu’au bout de ses rêves.