«Dans ce territoire, on ne tolère que difficilement le pouvoir des autres» : à Nice, les adieux piquants du préfet «bulldozer»

Dix-huit mois et puis s’en va. Préfet des Alpes-Maritimes depuis octobre 2023, Hugues Moutouh quittera ses fonctions, le 28 avril, pour le secrétariat général du ministère de l’Intérieur à la tête duquel il vient d’être nommé. «Je ferai tout pour m’en rendre digne, y compris en assumant totalement mon côté disruptif... ou bulldozer !», a-t-il déclaré jeudi soir à l’occasion de sa cérémonie de départ au palais des Rois Sardes.

Au fil des mois, le préfet Moutouh s’est illustré par une ligne sécuritaire ferme et clivante. Son passage à Nice aura été marqué par une politique migratoire offensive : +41 % d’expulsions en 2024, durcissement des régularisations, et renforcement du contrôle à la frontière franco-italienne. Il visait 600 éloignements en 2025, assumant un lien entre immigration irrégulière et délinquance. Dans sa lutte contre le narcotrafic, Hugues Moutouh a orchestré aux côtés du procureur des opérations coups de poing, notamment dans le quartier des Moulins, mobilisant jusqu’à 333 forces de l’ordre. Lors de ses vœux mi-janvier, il dénonçait un «délitement de la société» et des «clusters du crime», plaidant pour une réponse ferme et continue de l’État.

Tensions locales

Mais sa gouvernance a aussi nourri de fortes tensions locales, en particulier avec le maire (Horizons) de Nice, Christian Estrosi, qui a plusieurs fois réclamé son départ. Le préfet a notamment saisi la justice contre un contrat jugé illégal pour la statue de Jeanne d’Arc, déclenchant un bras de fer symbolique et politique avec le 1er magistrat de la capitale azuréenne. Ce qui n’a pas empêché Christian Estrosi - à la surprise de beaucoup - de se rendre jeudi soir au pot de départ du représentant de l’État. Accompagné de son 1er adjoint, de l’épouse de celui-ci, de son directeur de cabinet et de son directeur général des services, le maire s’est toutefois épargné le discours d’Hugues Moutouh pour filer à sa grande réunion publique au palais de la Méditerranée, au parfum électoral très prononcé.

D’autres ont ainsi profité - et ri parfois -, des sous-entendus du préfet, plus ou moins piquant. «Vu d’ici, Paris est une réalité bien lointaine ! Tellement lointaine en fait que les préfets et chefs de service qui y sont mutés en viennent parfois à se demander s’ils n’ont pas atterri dans une île au sud de la France métropolitaine, qui jouirait d’un droit local et bénéficierait d’un statut territorial particulier ! Cet exotisme fait partie du charme du département...», a-t-il déclaré devant le ministre des Transports Philippe Tabarot, les députés (UDR) Éric Ciotti et Bernard Chaix, ou encore la députée (RN) Alexandra Masson. «Passionnément Français, voilà ce que sont les Maralpins, voilà ce que vous êtes les uns les autres, derrière vos différences affichées, derrière les conflits territoriaux ou personnels qui sont parfois cultivés avec art et qui, je vous l’avoue, peuvent paraître aux yeux des expatriés que nous sommes, à peu près aussi intelligibles que les violences tribales de Papouasie-Nouvelle-Guinée !», a-t-il poursuivi.

L’exercice sur la Côte d’Azur y est moins évident qu’ailleurs et peut engendrer de temps à autre quelques frottements. Dans ce territoire méridional encore fortement imprégné de romanité et d’imperium, on ne tolère que difficilement le pouvoir des autres.

Hugues Moutouh, préfet des Alpes-Maritimes.

S’il n’a pas omis de dire son affection au territoire maralpin, «un département sans égal, au patrimoine incomparable, aux personnalités attachantes et aux enjeux colossaux», le presque ex-préfet a reconnu que «l’exercice sur la Côte d’Azur y est moins évident qu’ailleurs et peut engendrer de temps à autre quelques frottements. Dans ce territoire méridional encore fortement imprégné de romanité et d’imperium, on ne tolère que difficilement le pouvoir des autres.» À bon entendeur... Qualifié par nombre d’observateurs locaux de «préfet politique», Hugues Moutouh n’a pas trahi sa réputation : «J’ose dire, contrairement à ce que certains responsables politiques affirment en d’autres lieux que, pour moi, eh bien c’est davantage les Alpes-Maritimes que la Seine-Saint-Denis qui doit représenter l’avenir de notre pays !»

Depuis plusieurs semaines, quelques noms circulent sur l’identité du successeur au «préfet bulldozer», dont la nomination en conseil des ministres se fait attendre. S’il fut un temps question de l’actuel préfet du Morbihan, Pascal Bolot, le doute persiste. Pour Hugues Moutouh, les Alpes-Maritimes ont besoin d’«un préfet patriote, vibrant à l’unisson de ses élus.» À l’en croire, le poste requiert «une vertu mâle, dont les hommes n’ont pas l’apanage, et une fermeté inébranlable, parce qu’il faut ici, plus qu’ailleurs, en toutes choses agir avec vigueur.»