Pourquoi les États-Unis mettent (encore) fin à la neutralité du Net ?

Les États-Unis font machine arrière sur la neutralité du web. Une cour d’appel américaine à Cincinnati, dans l’État d’Ohio, a aboli jeudi ce principe réinstitué par l’administration Biden en avril 2024. 

La neutralité du web s’oppose à une gestion discriminatoire du web, qui favoriserait certains flux d’information ou plateformes au détriment d’autres. Aux États-Unis, cet accès égalitaire à Internet pour tous les utilisateurs est réglementé par la Commission Fédérale des Communications (FCC), qui interdit aux fournisseurs d’accès à Internet de moduler la vitesse de débit en fonction des contenus. Or, les trois juges de la cour d’appel fédérale ont estimé que le gendarme américain des télécommunications n’avait pas l’autorité pour imposer ce principe à l’industrie, précisant que la FCC a «une lecture erronée des dispositions de la loi sur les communications».

Les fournisseurs d’accès à Internet ont salué la décision de la cour fédérale américaine. «Notre combat pour empêcher le contrôle injustifié du gouvernement sur Internet a été gagné», s’est réjoui Grant Spellmeyer, directeur du groupe de télécommunications ACA Connect dans le New York Times. Les fournisseurs y voient en effet une opportunité de générer des revenus, grâce à des abonnements plus chers pour accéder à certains services, ou inversement, des abonnements moins chers proposant un débit dégradé.

Deux décennies de va-et-vient politiques

Brendan Carr, appelé à reprendre la présidence de la FCC à l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, s’est, lui aussi, dit satisfait de la décision, qu’il a qualifiée de «victoire pour le pays». «Les efforts pour détricoter les abus de pouvoir de l’administration Biden (sur Internet) vont se poursuivre», a-t-il affirmé dans un communiqué publié sur X. Fervent critique de la neutralité du Net, le républicain estime en effet qu’elle conduit à considérer les télécoms comme des services publics, qui investiraient alors moins dans les réseaux internet ultrarapides.

Le principe, théorisé par le professeur de droit à l’université Columbia (New York) Tim Wu en 2003, fait l’objet de vifs débats entre républicains et démocrate depuis deux décennies. C’est sous la présidence du républicain Donald Trump que la neutralité du net - instaurée juridiquement par le démocrate Barack Obama lors de son deuxième mandat - avait été abolie en 2017. Un vote de la FCC a ensuite rétabli la réglementation sous l’administration Biden en avril 2024. «Chaque consommateur mérite un accès à internet rapide, ouvert et équitable», avait alors déclaré Jessica Rosenworcel, démocrate et présidente de la FCC, ajoutant que ce principe «garantit que vous puissiez aller où vous voulez et faire ce que vous voulez en ligne sans que votre fournisseur de haut débit ne fasse des choix à votre place»

ONG et grandes plateformes du numérique

Cinq États américains ont par ailleurs adopté leurs propres lois garantissant un accès égalitaire au web (Californie, Colorado, Oregon, Vermont, Washington). La Californie est particulièrement emblématique, puisqu’elle abrite la Silicon Valley où siègent certaines des plus grosses entreprises du numérique (Google, Meta, Microsoft, Netflix) qui voient d’un mauvais œil la disparition de la neutralité du net. Les géants du web craignent en effet une dérégulation qui pourrait compromettre la visibilité et l’accessibilité de leurs services auprès des consommateurs.

Plus largement, les défenseurs de la neutralité du Net estiment qu’internet est un espace de liberté d’expression, de communication et de liberté d’accès à l’information qui doit être protégé. C’est pourquoi plusieurs ONG, telles que Public Knowledge et Free Press, ont condamné la décision de la cour fédérale. «Il est étonnant de voir le président de la FCC choisi par Donald Trump et Elon Musk qualifier des règles légères sur le haut débit de réglementation lourde, tout en s’efforçant d’imposer la diffusion de points de vue favorables à Trump sur les ondes et les réseaux sociaux du pays», a commenté Matt Wood, vice-président chargé des politiques publiques au sein de Free Press.