Ce mercredi matin, l’auditorium de la Fondation Louis Vuitton a des airs de plateaux télé. Les équipes techniques s’affairent autour de quelques portants dressés devant une longue table et une dizaine de chaises. Nous sommes à la finale du LVMH Prize, le plus grand concours de mode au monde. Caméras et projecteurs braqués sur eux, fébriles mais excités, huit jeunes créateurs présentent d’abord leur travail, soit le meilleur de leurs dernières collections, à une poignée de journalistes. Quelques minutes plus tard, ils passeront devant le plus prestigieux des jurys : les directeurs artistiques du groupe de luxe français, la crème de la crème de leurs pairs, dont Nicolas Ghesquière, à la tête des collections femme de Louis Vuitton, Pharrell Williams, des collections hommes du malletier, Silvia Venturini Fendi pour Fendi, Nigo pour Kenzo, Sarah Burton pour Givenchy, (c’est sa première participation), les indépendantes Stella McCartney et Phoebe Philo (LVMH a investi de façon minoritaire dans la griffe de cette dernière). Il y a aussi Jean-Paul Claverie, directeur du mécénat du groupe, Sidney Toledano, conseiller de Bernard Arnault et président du LVMH Fashion Group, et surtout, la créatrice de ce concours lancé en 2013, Delphine Arnault, PDG de Dior Couture.
Mélange de « Top Chef » au regard du prestige de ses jurés et de l’Eurovision en raison de son casting international et de sa diffusion en mondovision via les réseaux sociaux, les bénéfices pour les trois lauréats vont bien au-delà des trois récompenses en jeu (400 000 euros pour le prix LVMH des jeunes créateurs de mode et 200 000 euros pour le prix Karl-Lagerfeld et le prix des savoir-faire). Un coup de pouce financier conséquent, mais, pour ces designers indépendants, qui ne comptent pas leurs heures et mènent de front plusieurs jobs pour joindre les deux bouts, c’est le mentorat des équipes LVMH qui compte. Les temps sont durs pour l’industrie du luxe en ce moment, même pour les grandes maisons ; alors, que dire de ces jeunes pousses ?
À lire aussi Delphine Arnault: «Un candidat du LVMH Prize sera peut-être un jour le directeur artistique d’une de nos maisons»
Passer la publicité« Si je suis lauréat, j’espère pouvoir structurer mon entreprise, nous explique Alain Paul, seul représentant français de la compétition, ancien danseur à l’Opéra de Marseille, dont la danse et son mouvement inspirent un vestiaire fluide et structuré à la fois. Pour l’instant, tous les gens qui travaillent avec moi sont free-lance. Nous n’avons personne à plein temps. L’idée serait donc de structurer l’équipe et de lancer une ligne d’accessoires. Sans parler du soutien du groupe LVMH, de ses conseils, qui pourront nous aider dans tous les domaines : la production, la législation, la communication et le marketing. » Alors, dans les coulisses, en attendant leurs « auditions », comme disent les équipes du groupe, l’ambiance est tendue. L’actrice bollywoodienne Deepika Padukone, égérie Louis Vuitton et juré honoraire, est venue avec pas moins de dix personnes. Des dizaines de coiffeurs, maquilleurs, agents, assistants, poireautent le nez dans leurs smartphones. La photographe officielle de l’évènement cherche une place pour décharger ses appareils. Les attachés de presse font les cent pas. Dans leur bulle, les créateurs patientent en silence. Chacun n’aura que quelques minutes pour convaincre.
Au déjeuner, les rumeurs vont bon train. Il paraîtrait que le microbusiness et les créations couture de Steve O Smith ont tapé dans l’œil de quelques-uns. On surprend le Britannique en grande conversation avec sa compatriote Sarah Burton. « Son atelier est à Londres, explique la créatrice. Il cultive une approche de la mode tout à fait singulière, qui commence par une esquisse au pinceau et à l’encre, puis se termine par un vêtement unique, reproduction fidèle du dessin avec tous ses pleins et ses déliés. Nous avons beaucoup échangé sur son processus de fabrication si particulier. » Quelques minutes plus tard, Steve O Smith repart avec le prix Karl-Lagerfeld.
La manière de Torishéju d’équilibrer un minimalisme désarmant avec une sophistication extrême nous a beaucoup impressionnés
Nicolas Ghesquière, directeur artistique des collections femme de Louis Vuitton
La sincérité intense et le glamour féminin des créations de Torishéju, teintés de l’esprit de Savile Row, remportent le prix du savoir-faire. « Nous avons tous été touchés par son charisme, raconte Nicolas Ghesquière. Elle avait très peu de pièces, nous arrivons très tôt dans sa carrière, mais c’est vraiment le moment de la soutenir. Lors de son passage, son émotion et son implication étaient intenses, mais ce n’est pas seulement ça. Sa manière d’équilibrer un minimalisme désarmant avec une sophistication extrême nous a beaucoup impressionnés. » « Royaume-Uni, twelve points ! », oserait-on dire.
Sauf que le lauréat du prix LVMH vient finalement… du Japon. Grand gagnant de la journée, Soshi Otsuki a déjoué tous les pronostics grâce à la perfection de sa main tailleur très « Armani-esque », façonnée dans des magnifiques étoffes fabriquées dans son pays. « Il a montré des silhouettes masculines, mais on voit bien ce que son tailoring si personnel peut donner sur une femme, s’enthousiasme Silvia Venturini Fendi. Nous avons tous été séduits par sa vision claire : il sait ce qu’il fait et où il veut aller. » Ainsi, le trentenaire basé à Tokyo se débrouillant difficilement en anglais, aidé d’un traducteur, a remporté tous les suffrages. Remis par Delphine Arnault et Deepika Padukone, le timide Nippon monte sur l’estrade pour récupérer son trophée avec une émotion contenue : « Je voudrais remercier LVMH, le jury et tous ceux qui m’ont soutenu. » Pas un mot de plus. Le pauvre n’est pas au bout de ses peines: en backstage, une armée de journalistes présents ou en Zoom l’attend de pied ferme…