« Un Moment magique » : Les graines du figuier sauvage en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger

Le dernier film du réalisateur iranien Mohammad Rasoulof, Les graines du figuier sauvage , déjà primé au festival de Cannes, est cette fois en lice pour l'Oscar du meilleur film étranger. Un réconfort et un stimulant pour ses actrices en exil à Berlin.

Le long-métrage, très critique envers la théocratie au pouvoir à Téhéran, n'a pas été sélectionné au nom de son pays d'origine. Il représentera l'Allemagne qui l'a coproduit - avec la France - et où ont fui non seulement le cinéaste mais aussi trois des actrices principales, par crainte de la répression.

« C'est pour nous vraiment un moment magique », dit Setareh Maleki, 32 ans, dans une interview commune accordée à l'AFP avec ses deux amies comédiennes, qui vivent désormais réfugiées dans la capitale allemande. Elle s'enthousiasme du fait « qu'un projet réalisé avec si peu de moyens et une équipe aussi réduite ait pu trouver place dans le plus grand événement cinématographique au monde ».

Cinéma « insoumis »

Niousha Akshi, 31 ans, y voit quant à elle un hommage au « cinéma indépendant qui ne s'est pas soumis et qui dit ce qu'il veut ». Sur le mode d'un thriller haletant, le film décortique le fonctionnement intime de l'oppression autocratique en Iran à travers le prisme d'un huis clos familial et d'un conflit entre générations.

Il y a d'un côté le père, fraîchement nommé au tribunal révolutionnaire de Téhéran, qui devient un rouage zélé du régime pour condamner les participants aux manifestations ayant suivi la mort de Mahsa Amini, cette jeune femme arrêtée fin 2022 pour ne pas avoir respecté le strict code vestimentaire religieux. Le patriarche doit affronter la rébellion de ses deux filles, qui soutiennent en secret la révolte, tandis que leur mère au milieu tente d'éviter la rupture.

« Nous l'avons tourné dans des conditions très inhabituelles », se souvient Mahsa Rostami, qui joue la sœur aînée. L'équipe s'est réunie clandestinement début 2024. Les actrices ont accepté de jouer sans foulard, enfreignant ainsi les règles officielles. Le cinéaste lui-même, déjà dans le collimateur du régime, n'était pas présent sur les lieux. « On avait peur en apparaissant devant la caméra, on craignait toujours que le tournage soit stoppé » par les autorités, raconte Mahsa Rostami, 32 ans. C'était « très stressant et difficile, mais en même temps une expérience très positive », ajoute Setareh Maleki, qui incarne la sœur cadette. « En Iran, nous sommes habituées à vivre dans la clandestinité, dans des lieux cachés. Et là, nous étions vraiment nous-mêmes ».

Les trois actrices ont elles-mêmes participé à la contestation « Femme, vie, liberté » après la mort de Mahsa Amini. Un mouvement montré dans le long métrage au travers de vidéos tirées des réseaux sociaux. « Nous faisons nous-mêmes partie du peuple, nous étions dans la rue, jetant des pierres et en recevant, étant aussi atteintes par des tirs de balle. Pour moi, jouer dans ce film était un moyen de transmettre tout le courage que j'avais en moi », confie Niousha Akhsi, qui interprète une amie étudiante des sœurs ayant été éborgnée par un tir de la police.

Souffrance de l'exil

La participation aux Oscars a un goût doux-amer. Car désormais - à l'image du réalisateur, condamné à une peine de huit ans de prison dans son pays - elles ont comme perspective une vie en exil, loin de l'Iran. « J'en souffre au plus profond de mon cœur », lâche Mahsa Rostami, le visage figé. Mais pour toutes les trois, c'était le prix à payer. « Si tu tournes en Iran dans un film sans foulard, tu es forcée de quitter le pays pour échapper aux représailles et continuer à travailler », assume Niousha Akhsi. « J'aurais pu rester, mais cela aurait voulu dire aller au tribunal, sans savoir quelle sanction m'attendait, et vivre dans un stress permanent », ajoute Setareh Maleki.

Depuis Berlin où elles se perfectionnent en allemand, elles vont soutenir le film dans toute l'Europe et espèrent bientôt se lancer dans de nouveaux projets au cinéma ou au théâtre. En Iran, malgré la répression, elles veulent croire à une libéralisation inévitable du régime, car les changements s'opèrent « pas à pas » dans la société, dit Mahsa Rostami. « Les jeunes générations ne sont plus prêtes à accepter les choses telles qu'elles sont », assure Niousha Akhsi.