L’ancien Garde des Sceaux, à l’origine de l’abolition de la peine de mort, avait échappé de peu à une arrestation par les gendarmes en 1943, quand son père avait été raflé rue Sainte-Catherine, puis déporté à Sobibor.
Passer la publicité Passer la publicitéLe dernier regard de son père par l’entrebâillement de la porte d’une traboule de la rue Sainte-Catherine l’a poursuivi toute sa vie. Alors qu’il fera son entrée au Panthéon ce jeudi, Robert Badinter a failli perdre la vie à 14 ans, le jour de l’arrestation de son père par la Gestapo de Klaus Barbie, le 9 février 1943.
La famille avait franchi la ligne de démarcation deux ans plus tôt pour fuir Paris occupée et arriver dans un Lyon paradant aux couleurs du Maréchal Pétain. Arrivés à l’hôtel dans une chambre voisine de celle de Charles Maurras, Simon et Charlotte Badinter, ainsi que leurs deux enfants, avaient emménagé dans un appartement au 10 quai Maréchal Joffre, sur les quais de Saône. Les deux garçons allaient au lycée Ampère, où Robert murmurait avec ses amis des obscénités durant les chants à la gloire du pétainisme.
Passer la publicitéSon père s’était investi bénévolement auprès de l’Union générale des Israélites, qui avait son local rue Sainte-Catherine. Mais un jour d’hiver 1943, il ne rentre pas. Prévenue par un proche, la famille apprend rapidement qu’il a été arrêté au cours de ce que l’Histoire retiendra comme la rafle de la rue Sainte-Catherine. Le jeune Robert quitte alors l’appartement familial pour se ruer en direction de la place des Terreaux, dans un épisode qu’il racontait en 2006 à l’INA.
«J’ai entendu hurler derrière moi l’Allemand»
«Je suis arrivé par l’entrée. C’étaient des traboules, ces immeubles avec une entrée et une sortie, l’un côté rue Sainte-Catherine, l’autre côté place des Brotteaux (place des Terreaux en réalité, NDLR). Je suis monté et je suis arrivé au deuxième étage de l’escalier. Et là, il y avait des Allemands, des Feldgendarmes avec la plaque». Arrêté, le jeune Robert donne sa carte d’identité scolaire, dans la pénombre d’un escalier. «Là, j’ai eu un réflexe de vie prodigieux, se remémorait Robert Badinter en 2006. Je n’ai pas attendu une seconde : j’ai redévalé en sens inverse et je suis reparti par la traboule de l’autre côté. Et j’ai entendu hurler derrière moi l’Allemand».
L’adolescent s’évanouit dans la nuit et rentre en courant à son domicile où il prévient sa mère. La famille fuit l’appartement de peur que les Feldgendarme n’utilisent la carte d’identité de Robert pour les retrouver. Ils n’y reviendront jamais. Simon Badinter a lui été envoyé à la prison Montluc où étaient parqués les juifs, puis déporté à Drancy, avant de rejoindre le camp de Sobibor où il sera gazé. La fin de la vie de son père a été rapportée des années après à Robert Badinter par ses compagnons d’infortune dans les convois de la mort.
Le regard d’un père
«Il reste un détail que je ne suis jamais arrivé à résoudre maintenant, confiait Robert Badinter en 2006. Je n’arrive pas à savoir si j’ai vu mon père ou si j’ai cru voir mon père dans la pièce. Est-ce que c’est l’imaginaire qui a reconstitué ça ? Est-ce que c’est effectif ? Est-ce que j’ai croisé ses yeux où j’ai vu le signe de s’en aller ? Est-ce que j’ai imaginé cela par rapport à la culpabilité ? Je ne sais pas. Je ne peux pas le dire». Ce qui est certain, c’est qu’il a inauguré une plaque, des années plus tard au-dessus de la traboule de la rue Sainte-Catherine, rendant hommage aux victimes de la barbarie nazie.
Ces quelques années lyonnaises, ont poursuivi Robert Badiner toute sa vie. Devenu garde des Sceaux, il a veillé à ce que Klaus Barbie soit emprisonné à la prison de Montluc, «lieu de ses crimes» et non celle de Saint-Paul. Il retrouvera aussi le bordereau de signé de la main du «boucher de Lyon» mentionnant le nom de son père parmi une quinzaine d’autres visés par la rafle du 9 février 1943. Face au document, dans son bureau de la Chancellerie, il ressassera cette question : son père aurait-il été favorable à l’abolition de la peine de mort pour les criminels de guerre nazi ? «Je pense que oui, disait-il peu avant sa mort, toujours à l’INA. C’était un homme d’un autre temps.»