Affaire Alexis Kohler : pourquoi la cour d’appel a rejeté la prescription
La cour d'appel de Paris a rejeté, fin novembre, la prescription des faits que réclamait Alexis Kohler, poursuivi pour prise illégale d'intérêts. Elle a, dans sa décision consultée par l'AFP, estimé qu'un «pacte de silence» lui avait permis de dissimuler son lien familial avec les Aponte, propriétaires du groupe MSC. Quelques jours après cette décision, Alexis Kohler a, dans un communiqué, réfuté une nouvelle fois les accusations et annoncé se pourvoir en cassation.
Le secrétaire général de l'Élysée avait saisi la chambre de l'instruction pour faire reconnaître la prescription des faits pour lesquels il est mis en examen depuis octobre 2022. La justice lui reproche d'avoir participé comme haut fonctionnaire de 2009 à 2016 à plusieurs décisions relatives à l'armateur italo-suisse MSC dirigé par les Aponte. Les soupçons portent sur deux périodes. Les années 2009-2012, lorsqu'il représentait l'Agence des participations de l'État (APE) aux conseils d'administration de STX France (devenu Chantiers de l'Atlantique) et du Grand port maritime du Havre (GPMH). Ensuite, entre 2012-2016 lorsqu'il était à Bercy au cabinet de Pierre Moscovici puis d'Emmanuel Macron.
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Lui affirme avoir informé «à de très nombreuses reprises sa hiérarchie, et plus largement son administration, de son lien de famille» aussi bien à l'APE qu'à Bercy, est-il rappelé dans l'arrêt de la chambre de l'instruction rendu le 26 novembre. Et au ministère, il avait organisé «son déport effectif des dossiers STX susceptibles d'impliquer MSC». Pour ses avocats, le délai de prescription avait donc expiré en 2014 et n'a pas débuté en 2018 avec des articles de Mediapart comme le soutiennent les juges d'instruction.
Certes Alexis Kohler a informé son entourage professionnel de son lien de parenté avec la famille Aponte, souligne la cour d'appel, mais il s'agissait d'une «révélation parcellaire (...) à certains initiés et notamment à sa hiérarchie directe» à l'APE comme à Bercy. L'absence de «dispositif écrit et clair définissant le périmètre de son déport afin de permettre à toute personne concernée de constater la possible prise illégale d'intérêts, la non-révélation délibérée de ce lien aux interlocuteurs majeurs (...) caractérisent des actes positifs de dissimulation», détaillent-ils. Alexis Kohler n'a signalé son lien de parenté ni à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ni à la commission de déontologie. Cette dernière avait émis un avis favorable à son recrutement par le groupe MSC en tant que directeur financier (octobre 2016 - mai 2017), après avoir rendu deux ans auparavant un avis négatif eu égard à un vote en faveur de MSC en avril 2012.
«Embarras»
Personne n'était en mesure à l'époque de signaler cette situation à la justice. Donc le délai de prescription commence en 2018, considère la chambre de l'instruction. «Le seul écrit attestant d'un conflit d'intérêts serait un courrier adressé par M. Kohler à Jean-Dominique Comolli (son supérieur hiérarchique à l'APE) le 5 novembre 2010, courrier qui n'a jamais été versé dans le dossier administratif de M. Kohler ni retrouvé au sein de l'APE et dont seule une version non signée a été produite lors de l'enquête préliminaire par son conseil», rappellent les juges. Ont en revanche été retrouvés des échanges de mails entre Alexis Kohler et Bruno Bézard, autre supérieur hiérarchique à l'APE, en juin 2009 portant sur des propositions de courrier pour informer le directeur général de STX de l'époque de son lien de parenté avec les Aponte.
Ces échanges de mails «illustrent la conscience de l'existence d'un conflit d'intérêts tant chez M. Kohler que sa hiérarchie mais également leur embarras à le divulguer et donc d'un pacte de silence», est-il écrit. Par ailleurs, l'arrêt met en évidence l'«attitude proactive» de l’actuel secrétaire général de l’Élysée «concernant les opérations intéressant STX». Pour l'APE, il a siégé à plusieurs reprises à des conseils d'administration de STX et des conseils de surveillance du GPMH, avec un ordre du jour en lien avec MSC.
À Bercy, le haut fonctionnaire a reçu des mails et des notes concernant le GPMH et STX. Dans ce dossier, Bruno Bézard et Jean-Dominique Comolli sont également mis en examen. Sous réserve de l'avis de la Cour de cassation, le parquet national financier prendra ses réquisitions, avant la décision des juges d'instruction sur la tenue ou non d'un procès.