«Laissez-moi parler d’avenir» : devant les Jeunes Républicains, Retailleau assure «réhabiliter» la droite

Quitte à s’accorder un petit bain de foule, autant s’assurer être en terrain conquis. Ce fut le cas lundi soir pour Bruno Retailleau, invité par les Jeunes Républicains au «Bistrot Alexandre III» - une péniche en plein centre de Paris, privatisée pour l’occasion. Les eaux sont calmes, c’est à peine s’il y a du passage sur la Seine. La salle (qui peut accueillir entre 150 et 200 personnes) est comble. À la veille de la déclaration politique générale de François Bayrou, et tandis que le gouvernement poursuivait ses négociations avec la gauche en espérant obtenir un accord de non-censure, le ministre de l’Intérieur a quitté les murs de Beauvau pour s’occuper un peu du parti. 

Accueil chaleureux pour l’un des hommes forts du moment, à droite. «Bruno, président !», scandent de jeunes visages. «Laissez-moi parler d’abord. Et laissez-moi parler d’avenir», rétorque le ministre de l’Intérieur. S’écartant de son habituelle réserve et réticence à personnaliser un événement. «Vous me voyez et je vous vois... de l’œil droit seulement, mais c’est le principal», lance celui qui s’est récemment fait opérer. «L’œil directeur chez moi, c’est l’œil droit.» 

Pendant près de 40 minutes, alternant entre analyse de la situation politique et messages adressés aux Républicains, Bruno Retailleau assure avoir voulu parler «avec sincérité et avec [s]on cœur». «Il y a quelques mois, j’entendais les commentaires sur notre famille politique qui relevaient des propos qu’un médecin peut tenir à un patient en phase terminale. Nous étions quasiment au bord du trou et désormais, nous faisons l’actualité.» La leçon à retenir ? «En politique, rien n’est jamais écrit. Il n’y a pas de fatalité.» Il ne fait en effet nul doute que le Vendéen, hier confiné aux couloirs du Sénat, ne se voyait pas à Beauvau au sein d’un gouvernement iconoclaste, mené par un centriste lui-même nommé par Emmanuel Macron contre lequel s’est farouchement opposée la droite. 

«Nous sommes sur la voie de la reconstruction»

Mais, à entendre Bruno Retailleau, elle a bien fait de se lancer dans cette aventure périlleuse. Le ministre de l’Intérieur a été particulièrement attentif au premier tour de la législative partielle dans la première circonscription de l’Isère où la candidate LR, arrivée en troisième position, a connu un bond de près de dix points par rapport à juin 2024. «C’est passé quasiment inaperçu. LFI et le RN ont tous les deux reculé. Cela signifie que nous sommes sur la voie de la reconstruction», s’est félicité Bruno Retailleau. 

Chez LR, deux lignes s’affrontent. Sans doute pas à armes égales, mais elles existent. La première, soutenue sans relâche par Bruno Retailleau, est que la droite, «pour redevenir crédible», n’existe que dans l’action. La seconde est le fruit d’une réserve que certains au sein du mouvement LR estiment encore bien présente à l’esprit de Laurent Wauquiez : s’allier au camp présidentiel, c’est aussi prendre le risque d’être comptable d’un bilan dont la droite se passerait bien. Qu’à cela ne tienne, a assuré le ministre de l’Intérieur, «notre avenir, nous sommes en train de l’écrire». «La période est fondatrice pour nous. Il y avait deux possibilités : fuir ou tenir. Le choix que j’ai fait est de tenir et de poursuivre ma mission dans ce gouvernement. (...) Pour réhabiliter la politique et notre famille politique. Après trois mois, nous avons démontré que c’était en étant dans l’action pour la France qu’on pouvait être crédibles à nouveau.»

Une décision, a assuré Bruno Retailleau, «qui n’avait rien d’évident, nous qui étions dans une opposition farouche à Emmanuel Macron». Et si Michel Barnier à Matignon rendait la participation de la droite naturelle, avec la nomination de François Bayrou, «l’évidence n’était plus là». «Nous sommes les héritiers de la famille gaulliste. Et quand on est gaulliste, on ne fuit pas ses responsabilités, on les prend. On ne se planque pas quand la France est au bord du gouffre.» Même si cela veut dire évoluer dans un gouvernement pour le moins iconoclaste. «Je ne suis pas sectaire», a ainsi justifié Bruno Retailleau. «Mais je ne suis pas non plus un mercenaire.» Un message envoyé de nouveau au premier ministre auprès de qui il assure avoir obtenu les «garanties sur le régalien, l’immigration, l’islamisme et le narcotrafic». «Je ne trahirai pas mes convictions et je ne tromperai pas les Français. Je continuerai de leur dire la vérité.» 

«Parler vrai et agir vite»

Alors que les forces de gauche réclament la suspension de la réforme des retraites, et que nul ne sait ce qu’en dira François Bayrou dans sa déclaration de politique général, Bruno Retailleau a lancé cet avertissement : «La question des retraites est fondamentale. Si on veut sauver le régime par répartition, il faut travailler plus. J’espère que demain, les choses seront remises en perspective. J’ai appuyé cette réforme impopulaire. La démagogie aurait consisté à se réfugier dans un confort et la refuser. Il y a des choses sur lesquelles il peut y avoir négociation : l’usure professionnelle, l’emploi des séniors, la situation des femmes... Mais attention à ne pas remettre en cause le rendement.»  

Dressant le bilan de son action ministérielle, le locataire de Beauvau, qui assure régulièrement ne pas être piqué par le «virus présidentiel», tente de paver au moins (et prudemment) la voie pour la droite. Assumant un «style» qui vient bousculer, estime-t-il, «le microcosme politico-médiatique parisien». «Parler vrai et agir vite : c’est la condition de ma liberté. Je suis incapable de soutenir quelque chose auquel je ne crois pas.» C’est là ce qui explique, juge-t-il, «le fait que les Français, de droite comme de gauche, [m’aient] découvert». «Sans majorité au Parlement, je savais que je ne pouvais pas m’appuyer sur le Parlement. Mais je peux m’appuyer sur ce que le général de Gaulle appelait la majorité nationale. Cette majorité nationale, elle nous a compris.» 

Dans l’assistance, certains rêvent de voir Bruno Retailleau reprendre le parti dont la présidence est vacante depuis le départ d’Éric Ciotti. Le ministre de l’Intérieur, naturellement, n’en parle guère. Mais à écouter son entourage, l’idée ferait bel et bien son chemin. Faut-il, comme on peut le craindre chez LR, s’attendre à une future guerre des chefs ? Il ne fait nul doute que certains poids lourds, Laurent Wauquiez le premier, n’ont pas renoncé à briguer la place... Il est encore tôt, chacun le sait. Les yeux sont pour l’instant tournés vers un gouvernement dont on ne sait la longévité. En attendant, assure plus généralement Bruno Retailleau devant les Jeunes LR : «Vous n’êtes pas des tièdes et j’aime cela. Les clefs pour demain, ce n’est pas la tiédeur mais au contraire, la ferveur.» En attendant, a finalement lancé le ministre : «à bientôt... pour d’autres combats !».