Budget 2026 : François Bayrou prend le risque de la chute pour alerter les Français

De lui-même, François Bayrou prend le risque de chuter et de plonger la France dans l’instabilité politique. Pour créer un électrochoc dans la population sur le niveau d’endettement, sans attendre les motions de censure de ses opposants, le premier ministre a annoncé, ce lundi, solliciter la confiance de l’Assemblée nationale le 8 septembre. Activée à la surprise générale, cette utilisation de l’article 49, alinéa 1 de la Constitution représente pour lui un saut dans le vide, en l’absence de majorité absolue à l’Assemblée nationale.

« Nous sommes face à un moment de clarification », « un moment préoccupant et donc décisif », a-t-il déclaré lors d’une conférence de presse d’une trentaine de minutes, depuis un immeuble gouvernemental de l’avenue de Ségur, à Paris. Devant la quasi-totalité de ses ministres, qu’il a prévenus de ses intentions quelques minutes plus tôt.

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Cette initiative, mûrie depuis son entretien avec Emmanuel Macron jeudi soir, au fort de Brégançon (Var), prend de court la classe politique, mais elle doit lancer l’alerte. François Bayrou assure qu’il a proposé ce scénario au chef de l’État, qui « l’a accepté ». Prendre le « risque » de la chute, « c’est la seule condition pour que les Français prennent conscience » du « danger immédiat » du surendettement, a-t-il indiqué, d’un ton alarmiste.

Chamboule-tout

Avec cette opération chamboule-tout, le septuagénaire souhaite revêtir d’une légitimité son plan budgétaire de 44 milliards d’euros d’efforts pour 2026. Sa déclaration de politique générale, suivie d’un vote, a pour but de « poser explicitement la question centrale : savoir s’il y a bien gravité du danger pour la nation, s’il y a urgence ou pas, et choisir la route qui permettra d’échapper à cette malédiction », a-t-il affirmé. La discussion sur le détail des mesures budgétaires est renvoyée à plus tard.

Charge aux députés de tous bords d’assumer leurs « responsabilités » et de « s’engager devant les Français ». Sans réaction face au dérapage des comptes publics, « nous ne nous en sortirons pas », a-t-il mis en garde : la « liberté » et la « souveraineté » de la France sont « en jeu », a-t-il fait valoir, en comparant cette situation à une soumission militaire. « Je ne laisserai pas le pays s’enfoncer dans ce risque », insiste-t-il. S’il est renversé le 8 septembre, il jugera que son action est « impossible ».

Un mouvement de contestation radicale, dont LFI et M. Mélenchon ont maintenant pris la tête

François Bayrou

Cet été, le premier ministre n’a pas apprécié la tournure des discussions. Pendant qu’il s’efforçait de convaincre les Français avec des vidéos YouTube peu suivies, il a vu le débat « sombrer dans la confusion ». Le Rassemblement national (RN) n’a cessé de le menacer de censure. Tout comme la gauche, qui s’est en plus ralliée au mouvement Bloquons tout le 10 septembre, né sur les réseaux sociaux. « Un mouvement de contestation radicale, dont LFI et M. Mélenchon ont maintenant pris la tête », a fustigé François Bayrou. Au moment même où les secousses internationales, la remontée des droits de douane américains et la hausse des taux d’intérêt tendent la situation économique.

« Débat ordonné » plutôt que « désordre »

Le démocrate-chrétien préfère « un débat ordonné » plutôt que « le désordre des affrontements de rue et des injures ». Mais le scénario de la chute se rapproche : Insoumis, communistes, écologistes et lepénistes et ciottistes ont annoncé clairement qu’ils voteront contre la confiance. Le président du RN, Jordan Bardella, a prédit « la fin du gouvernement », alors qu’il comptait jusqu’alors attendre les débats budgétaires, en octobre, pour prendre sa décision. Marine Le Pen a pour sa part appelé à une dissolution de l’Assemblée nationale, une hypothèse qu’a récemment écartée Emmanuel Macron dans un entretien à Paris Match.

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Une nouvelle fois, les regards des ministres se tournent vers les 66 députés socialistes. Hostiles au projet de budget du gouvernement, ils projetaient lundi de voter contre la confiance. «Il est évidemment inimaginable que les socialistes votent la confiance au premier ministre, a assuré le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, au Monde. Comment peut-il croire un seul instant que des opposants à tout ce qui a été fait par ce gouvernement entreraient maintenant dans sa majorité ?» Mais François Bayrou espère encore nouer des compromis avec eux dans les prochains jours. À leur adresse, il a promis « un principe de justice dans la répartition de l’effort » budgétaire, qui associerait « les plus favorisés ». Un peu plus tôt, lundi matin, François Hollande l’a mis en garde, sur France Inter : s’il ne change pas son projet de budget, « je ne vois pas comment François Bayrou peut échapper à la censure ». Au sein du pouvoir exécutif, plusieurs ex-socialistes plaident pour un geste de « justice fiscale », dont le ministre François Rebsamen (Décentralisation).

Les orientations sont toutes « discutables », jure le chef du gouvernement. Y compris les plus critiquées, comme le gel des dépenses de l’État, du barème des impôts et des prestations sociales, ou encore l’impopulaire suppression de deux jours fériés. Censée rapporter 4,2 milliards d’euros, cette disposition est « amendable ». Mais, avec un niveau d’endettement de plus de 3300 milliards d’euros, « la France court à l’accident si elle ne prend pas les mesures courageuses », prévient François Bayrou.

Doute dans les milieux économiques

Le président du Mouvement démocrate (MoDem) prévoit de relayer son message mardi et jeudi, lors des événements de rentrée des réformistes de la CFDT et des patrons du Medef. Mais sa déclaration sème le doute dans les milieux économiques. À la Bourse de Paris, le CAC 40 a subitement reculé (- 1,5 %) dans les minutes suivant son intervention. « C’est Bayrou ou le chaos », soutient l’un de ses soutiens, le président de l’UDI, Hervé Marseille : « Il a raison de brusquer les choses. La meilleure défense, c’est l’attaque. »

Chantre de la « réconciliation » des Français, l’agrégé de lettres classiques se place à un tournant de sa vie politique. À l’issue de sa déclaration de politique générale, le 14 janvier, un mois après sa nomination, il avait refusé de se soumettre à un vote de confiance. Conscient des risques, comme ses derniers prédécesseurs sans majorité absolue Michel Barnier, Gabriel Attal et Élisabeth Borne.

Aujourd’hui, le Béarnais, décrit par ses proches comme « têtu », se dit prêt à quitter ses fonctions en martyr. Il cite toujours l’ancien président du Conseil sous la IVe République, Pierre Mendès France, renversé en février 1955 après avoir mis un terme à la guerre d’Indochine et à la crise de la Communauté européenne de défense. En seulement huit mois et cinq jours. « Ce n’est pas un si mauvais exemple », a souri François Bayrou lundi, devant la presse. L’actuel premier ministre a dépassé la longévité de son illustre prédécesseur le 18 août dernier. Sans toutefois pouvoir s’assurer de quitter son poste avec un bilan de la même ampleur.