L'article à lire pour comprendre la réforme de l'audiovisuel public, dont l'examen en commission à l'Assemblée reprend mardi

La réforme de l'audiovisuel public fait son énième retour à l'Assemblée nationale. La commission des affaires culturelles reprend ses travaux, mardi 17 juin, sur une proposition de loi visant à rapprocher France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA, avant un examen en séance publique prévu le 30 juin. Déjà adopté au Sénat en première lecture, le texte prévoit la création d'une "holding" pour chapeauter ces médias.

Alors que son examen par les députés a déjà été repoussé trois fois en un an, Rachida Dati juge, dans une interview au Monde parue dimanche, que "le statu quo n'est pas une option". La ministre de la Culture, qui plaide de longue date pour la création d'une "BBC à la française", soutient le texte depuis sa nomination à ce poste début 2024. Les syndicats y voient, eux, le prélude à une fusion, qui n'est toutefois "plus à l'ordre du jour" pour le moment.

En quoi consiste cette réforme ?

La proposition de loi du sénateur centriste Laurent Lafon crée une holding baptisée "France Médias" dont l'Etat serait actionnaire à 100%. A compter du 1er janvier 2026, cette société mère chapeautera France Télévisions (qui rassemble France 2, France 3, France 4, France 5, franceinfo, le réseau Outre-mer La 1ère, la plateforme france.tv et le site franceinfo.fr, cogéré avec Radio France), Radio France (France Inter, France Culture, France Musique, FIP, Mouv', le réseau ICI – anciennement France Bleu –, et franceinfo), l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et France Médias Monde (RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya). Le texte ne prévoit pas de faire disparaître ces entreprises. Mais la holding aura pour rôle de "définir la stratégie" de ces médias, d'"accélérer les coopérations" et d'"optimiser la répartition des moyens", détaille la commission de la culture du Sénat*.

"Il ne s'agit pas de démantèlement, ni de privatisation."

Rachida Dati, ministre de la Culture

au "Monde"

"Comme les actuelles PDG de France Télévisions et de Radio France", celui de "France Médias" serait désigné pour cinq ans par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) "et chaque filiale aura son propre conseil d'administration", a décrit la ministre au Parisien, le 30 mars. La proposition de loi mentionne également la nomination d'une personne "chargée de veiller à l'impartialité de l'information" au conseil d'administration de la holding.

Le texte prévoit aussi de financer l'audiovisuel public via "une ressource publique de nature fiscale, pérenne, suffisante, prévisible et prenant en compte l'inflation". Toutefois, une loi a déjà été adoptée en novembre afin d'affecter un "montant d'impôt d'Etat" à l'audiovisuel public. Elle pérennise l'allocation d'une fraction des recettes de TVA aux médias publics, en remplacement de la redevance, supprimée en 2022. 

L'ensemble de l'audiovisuel public est-il concerné ? 

Non, les chaînes de télé TV5 Monde et Arte sont écartées de la réforme en raison de leur statut international particulier. La première est financée par la France, la Suisse, le Canada, le Québec, la Belgique et Monaco. La seconde est une entreprise franco-allemande. 

Le sort de France Médias Monde est plus incertain. En l'état, la proposition de loi prévoit d'intégrer la branche internationale de l'audiovisuel public français au projet de holding. Mais elle pourrait en être exclue, comme l'ancien gouvernement de Gabriel Attal, dont faisait déjà partie Rachida Dati, l'avait envisagé.

Ce projet est-il récent ?

Pas vraiment. Dès 2015, un rapport sénatorial appelait à la création d'une holding baptisée "France Médias". L'ancien ministre de la Culture Franck Riester entendait concrétiser ce projet, mais la crise sanitaire du Covid a stoppé l'examen de son texte. Le dossier a été relancé par Rachida Dati à son arrivée au ministère en janvier 2024. 

Pour avancer rapidement, elle s'est appuyée sur la proposition de loi du sénateur Laurent Lafon, déjà adopté en première lecture par le Sénat en juin 2023. Son examen à l'Assemblée a été reporté une première fois en raison de la dissolution en juin 2024, puis une deuxième fois à cause de la chute du gouvernement de Michel Barnier, six mois plus tard.

Entre-temps, la position de Rachida Dati a évolué. Elle voyait initialement la holding comme une phase transitoire avant une fusion complète des sociétés en une seule entité. Un amendement en ce sens avait été adopté en commission à l'Assemblée en avril 2024. L'idée était toutefois loin d'être consensuelle. Au sein du socle commun, le MoDem s'y était opposé. Après de "nombreuses consultations des syndicats et des collectifs de journalistes", la ministre assure que la fusion n'est plus à l'ordre du jour. "Cette holding préserve l'indépendance, les identités de chaque entité et leurs spécificités", veut-elle rassurer.

Le projet a connu un nouveau coup de frein au printemps, quand l'examen du texte, prévu en avril, a été reporté en raison d'un programme parlementaire très chargé.

Quels sont les arguments de Rachida Dati pour défendre la réforme ?

La ministre de la Culture juge cette réforme "indispensable" face à la concurrence des groupes de chaînes privés "très structurés", des plateformes numériques comme Netflix et Amazon Prime, et des réseaux sociaux. Une holding permettrait, selon elle, de rassembler des "forces aujourd'hui dispersées" et d'éviter un "affaiblissement" de l'audiovisuel public "déjà en cours". "Il nous faut sortir des fonctionnements en silo" et "avoir des stratégies réellement unifiées", a-t-elle plaidé le 2 avril devant la commission des affaires culturelles à l'Assemblée. 

Elle entend aussi renforcer un service public "déserté" par les plus jeunes, dans un contexte de propagation des fausses informations sur les réseaux sociaux. Pour lever les oppositions au projet, la ministre entend s'appuyer sur les conclusions d'un rapport de l'ancienne patronne de France Inter, Laurence Bloch, remis lundi aux députés. "Il montre que les usages ont évolué, que la consommation de la radio et de la télévision s'effondre chez les jeunes", défend-t-elle auprès du Monde.

Les plus de 65 ans représentaient environ 60% des téléspectateurs des chaînes de France Télévisions en 2023, selon l'Arcom*, contre 42% pour l'ensemble de la télévision. Sur les antennes de Radio France, cette tranche d'âge est aussi prépondérante parmi les auditeurs, même si l'Arcom note* que les plus de 65 ans sont également nombreux à écouter des stations généralistes privées, comme Europe 1 et RTL. 

Pourquoi le projet est-il contesté par les syndicats ? 

Les syndicats redoutent que la création d'une holding engendre des baisses de moyens et craignent pour l'emploi des quelque 16 000 salariés (8 900 à France Télévisions, 4 500 chez Radio France, 1 700 à France Médias Monde et 900 à l'INA) concernés par ce projet. "Ce type de réforme vise d'abord les économies en réduisant les effectifs et les programmes", pointe Eléonore Duplay, déléguée syndicale SNJ CGT, auprès de France 3. Le projet de loi de finances adopté en février acte une réduction de 80 millions d'euros du budget entre 2024 et 2025, sur les près de 4 milliards d'euros alloués à l'audiovisuel public. De son côté, la ministre de la Culture promet que cette réforme n'a pas pour objectif de faire des économies.

Les organisations syndicales s'alarment d'une note d'évaluation du gouvernement, révélée par Contexte, qui estime que "France Médias" facilitera la création de "nouvelles filiales". Le document évoque la constitution d'une "filiale franceinfo" pour approfondir les "coopérations entre les composantes télé et radio", ainsi que la création d'une "filiale ICI" qui rassemblerait les employés du réseau France 3 et ceux de France Bleu. Dans son interview au Monde, Rachida Dati se dit favorable à une "organisation en filiales autour des quatre plateformes existantes (ICI, Franceinfo, Radio France, France.tv)". Les syndicats de Radio France jugent ainsi que le projet de holding a "toutes les caractéristiques" d'une fusion.

Par ailleurs, les syndicats redoutent "une mise en danger de l'indépendance éditoriale, du pluralisme et de la liberté de l'information". "N'oublions pas non plus les risques de pressions, politiques ou économiques, qui pourraient s'exercer sur la présidence d'une holding qui regrouperait tout l'audiovisuel public. Voulons-nous vraiment concentrer tant de pouvoirs entre les mains d'une seule personne ?", interroge l'intersyndicale de l'audiovisuel public dans une tribune publiée en février sur Ouest-France.

La réforme a-t-elle des chances d'aboutir ?

Rachida Dati estime que le texte peut obtenir le feu vert des députés, avant son retour au Sénat à la rentrée. "Lors des débats en commission des affaires culturelles début avril, l'article premier du texte qui crée la holding exécutive, et dont découlent les articles suivants, a été adopté à une large majorité", avance-t-elle au Monde. "Il n'y a pas de raison que cette majorité ne se confirme pas dans l'hémicycle", selon la ministre.

Cette majorité n'est toutefois pas acquise. A gauche, l'élu socialiste Emmanuel Grégoire y voit le "prélude évident à une fusion absurde et brutale", tandis que le député insoumis Aurélien Saintoul a dénoncé en commission* "une attaque directe contre la diversité culturelle et le pluralisme de l'information", qui vise "à imposer une vision unique". 

De son côté, le Rassemblement national, qui plaide pour une privatisation de l'audiovisuel public, juge que la réforme ne va pas assez loin. "L'heure n'est pas nécessairement à la création d'une holding, mais plus que jamais à la concentration du secteur", a déclaré en commission le député Philippe Ballard, qui réclame un "assouplissement des normes anticoncentration" dans l'audiovisuel.

Je n'ai pas eu le temps de tout lire, vous me faites un résumé ?

La proposition de loi vise à créer une holding, "France Médias", pour chapeauter l'audiovisuel public. Elle contrôlera France Télévisions, Radio France, l'INA et potentiellement France Médias Monde. Ces médias seront tous placés sous l'autorité d'une même personne, à la présidence de la holding. L'examen à l'Assemblée nationale du texte, déjà adopté en juin 2023 par le Sénat, a été repoussé à trois reprises.

La ministre de la Culture, Rachida Dati, juge la réforme "indispensable", pour rassembler les "forces aujourd'hui dispersées" de l'audiovisuel public, face à la concurrence des chaînes privées et des plateformes de streaming. Contrairement à ce qu'elle envisageait initialement, Rachida Dati assure qu'elle n'est plus favorable à une fusion et que chaque entité conservera son "identité". Mais les syndicats estiment que cette réforme possède déjà "toutes les caractéristiques" d'une fusion. Comme la gauche, ils redoutent qu'elle engendre des baisses de moyens et qu'elle appauvrisse le "pluralisme" et "l'indépendance éditoriale" du service public.

* Les liens suivis d'un astérisque renvoient vers des documents PDF.