L’œil de l’INA : Il y a 50 ans, Yves Mourousi révolutionnait le JT
Le 6 janvier 1975 à 13 heures, sur TF1 naissant, Yves Mourousi lance pour la première fois un « Bonjour » entré ensuite dans la légende du petit écran. La consécration d’une carrière qui a débuté par un stage d’été sur France Inter en 1967. Dès la rentrée suivante, il commence à intervenir régulièrement à l’antenne puis gravit les échelons en un temps record. Il est rapidement nommé rédacteur en chef d’Inter Actualités magazine, et en devient le présentateur, à partir du 6 novembre 1968. En 1972, il signe quelques reportages sur la troisième chaîne naissante puis débute sur TF1 avec une émission intitulée Feux croisés.
L’aventure du 13 heures quotidien, avec la complicité de Marie-Laure Augry, a duré 13 ans. Tout au long de cette période, le journaliste n’a cessé de bouleverser les codes traditionnels de l’information télévisée en la transformant en un spectacle dont il est devenu l’incontournable tête d’affiche. Plusieurs fois par mois, il réalise en extérieur, des « coups » étudiés dans les écoles, comme des modèles du genre. Le 8 octobre 1976, au temps de l’URSS, il se rend sur la Place Rouge pour interviewer Leonid Brejnev, le numéro un soviétique. Le 22 novembre 1977, il fait vivre en direct aux téléspectateurs, le premier vol commercial du Concorde. Le 3 octobre 1979, il prend le risque de se rendre à Pékin, place Tian’anmen où dix ans plus tard des manifestants connaîtront la répression pour avoir dénoncé la dictature chinoise. INA-Madelen vous propose de découvrir, ou de redécouvrir ce moment culte réalisé dans des conditions techniques exceptionnelles pour l’époque.
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François Mitterrand , un président «chébran» !
Yves Mourousi a encore et toujours innové en interviewant François Mitterrand, président de la République, dans une pose particulièrement décontractée. Assis sur un bureau face au Chef de l’État, confortablement installé dans un fauteuil traditionnel, il lui a demandé s’il était un Président «chébran». Il a également interrogé le passionné de littérature et de langue française sur sa connaissance d’autres expressions alors dans l’air du temps comme «c’est l’angoisse», «c’est craignos», «c’est l’enfer».
A-t-il beaucoup travaillé pour obtenir ces scoops ? Oui, mais pas autant que l’on serait en droit de l’imaginer. Il est devenu un roi de l’improvisation sur des sujets qu’il parvenait à maîtriser parfaitement après les avoir étudiés pendant quelques minutes seulement. La plupart du temps, il a déboulé à son bureau une heure seulement avant de prendre l’antenne. Son équipe, qui le connaissait par cœur, avait préparé un maximum de notes qu’il lisait, et digérait immédiatement.
S’il arrivait aussi tard au studio de la rue Cognacq-Jay, c’est parce que, plusieurs fois par semaine, il faisait la fête, parfois jusqu’au bout de la nuit. Il y avait en effet deux Mourousi : celui, qui en costume Pierre Cardin, s’adressait à des millions de fidèles, et l’autre qui, vers 21 heures, enfilait un blouson de cuir, puis enfourchait sa moto pour vivre intensément les nuits d’un Paris où la fête était partout, de Saint-Germain-des Prés aux Champs-Élysées en passant par la Bastille. Avant de retrouver ses copains à l’Élysée-Matignon, la discothèque la plus célèbre de Paris, il dînait au 7, un restaurant dirigé par Fabrice Emaer. À chaque fois, il était accueilli par un «Bonjour» volubile, qui lui a inspiré celui avec lequel il a lancé son journal. Un jour du milieu des années 70, revenant de New York, il confie à Emaer son enthousiasme devant un lieu qui vient d’ouvrir ses portes près de la 5e Avenue. Un club où le disco naissant est roi, le Studio 54. « Il faut que tu fasses la même chose à Paris ! », s’exclame Mourousi. Son interlocuteur l’écoute avec tellement d’attention que le lendemain matin, il décide d’acheter un théâtre parisien à l’abandon, Le Palace. Il ignore alors l’ampleur d’un succès qui a fait des deux étages et du restaurant du sous-sol, un lieu mythique.
Jamais à court d’idées, Mourousi a également créé, au Jardin des Tuileries, des Nuits de l’Armée avec un chapiteau où Thierry le Luron, Tino Rossi et quelques autres se sont produits devant des milliers de personnes. Passionné de cirque, il a adapté pour le Cirque d’Hiver Bouglione, Barnum, une comédie musicale de Broadway. À la demande de Valéry Giscard d’Estaing, alors président de la République, il est devenu le «Monsieur Moto» du gouvernement. Chargé d’établir des règles de conduite dans un univers où c’était encore le Far West, il a lancé des idées en laissant le soin à l’administration de les mettre en pratique.
En 1988, au lendemain de la privatisation de la chaîne, la direction de TF1 l’a écarté du journal. On lui a confié des émissions dont l’échec d’audience a été le prétexte d’une rupture de contrat. Victime d’un polype qu’il se refusait à faire opérer, il s’est éloigné des caméras et des micros pour assurer la direction des programmes de Radio Monte Carlo. Il n’est pas parvenu, hélas, à faire remonter l’audience d’une station en chute libre. Moralement et physiquement épuisé, il nous a quittés le 7 avril 1998. Il mérite de ne pas être oublié par de nouvelles générations de télévision qui ne mesurent pas toujours qu’elles ont sans doute en elles, quelque chose de Mourousi.