Saint-Valentin: pour ou contre le caleçon à cœurs ?

Lorsqu’en 1978, l’émission « Aujourd’hui Madame » s’intéresse aux nouveaux sous-vêtements masculins, elle n’interroge pas une vendeuse de grand magasin. Mais rien moins que Jean-Paul Aron, alors directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. « Il y a là un phénomène sociologique de première importance, c’est une certaine réhabilitation du corps de l’homme, dans la mesure où jusqu’à une période assez récente l’homme n’était pas, par son corps en tout cas, recevable, (...) en tant qu’objet érotique (...). Et qui achète le slip ? Le plus souvent la femme, la mère d’abord, l’épouse, parfois la maîtresse. C’est la femme qui réhabilite le corps de l’homme. » Autour de lui, les baby-boomeurs sont devenus des pères de famille, mais ils refusent d’enfiler le « slip à papa », préférant les modèles fantaisies, moulants ou de plus en plus flottants.

Caleçon en coton « Rouge Saint-Valentin », McAlson, 39€. McAlson

C’est en 1983 que le caleçon à motifs va véritablement révolutionner ce secteur textile avec l’émergence de nouvelles marques. Parmi lesquelles Coup de Cœur, fondé par les jeunes Jacques Loyer et Alix de Riberolles. Cette dernière, étudiante en stylisme, a l’idée de génie d’imprimer, sur le coton, des motifs originaux dont des cœurs. Le succès est foudroyant, les concurrents s’engouffrent dans la brèche à grand renfort de messages d‘amour et de bisous au lipstick.

Le capitaine Crochet avant-gardiste en 1953 dans le Peter Pan de Walt Disney Walt Disney

Au même moment, deux autres jeunes entrepreneurs, Jean-Louis Pariente et Lionel Rainfray fêtent leur diplôme de l’Essec en lançant la marque Arthur, « qui apporte une touche de délire à une panoplie d‘ordinaire plutôt sinistre », disent-ils à l’époque au Figaro. C’est la valse des petits dessins, fruits, palmiers, bandes dessinées, personnages de Walt Disney… et les petits cœurs rouges ou de toutes les couleurs, qui resteront longtemps des best-sellers.

« Pour rendre votre Saint-Valentin encore plus spéciale »

De quoi traumatiser toute une génération de garçons qui, dans les années 2000, finit par éradiquer toute trace de fantaisie de ses sous-vêtements, si ce n’est les élastiques à logo (Calvin Klein, Armani…) de boxers gris, blanc ou noir. Qu’en est-il aujourd’hui ? L’offre est tellement large qu’il y en a pour tous les goûts, slips ou caleçons, uni ou imprimé, chez Uniqlo ou dans les supermarchés. Mais aussi chez Arthur, qui a survécu à ces quarante dernières années, ou encore, dans de nouvelles marques spécialistes, comme Le Slip Français (créé en 2011, à qui l’on doit la réhabilitation du vrai slip « made in France ») ou McAlson (fondé en 1997 par la famille belge Deren). Bien évidemment, ces jours-ci, leurs sites internet battent au rythme des cœurs, « pour rendre votre Saint-Valentin encore plus spéciale ».

Caleçon C’est moi qui pilote pour la Saint-Valentin, 55 €. C’est moi qui pilote

Toutefois, le genre est plutôt clivant, et la plupart des hommes que nous avons interrogés autour de nous sont plus que réticents. « Que dire ? Pour moi, c’est le comble du ringard. C’est comme les chaussettes imprimées… Je n’aime aucun motif, mais, le pire, c’est le cœur… ou peut-être les mobylettes. Ça fait Jean-Claude Dusse, les années 1980 », dit Matthieu, 30 ans. « Mon mari ne veut pas voir l’ombre d’un imprimé dans son tiroir, vacciné par sa mère, qui lui achetait des caleçons fantaisie. Il trouve que c’est infantilisant, confie Valérie, 43 ans. Je ne suis pas fan non plus des boxers “marrants”, mais je ferais exception pour les cœurs, je trouve ça mignon. »

The Man Who Wasn’t There, film de 1983 Paramount Pictures