Kudret Günes, auteur franco-kurde d’une BD sur la guerre contre Daesch, retenue en Turquie pour « apologie du PKK »

La Franco-kurde Kudret Günes, âgée de 69 ans et auteur de la BD La Liberté dans le sang, a été arrêtée en Turquie mardi 27 mai puis placée sous surveillance judiciaire. Militante pour la liberté des femmes kurdes depuis de nombreuses années, elle est aujourd’hui accusée d’« apologie du PKK », une charge qu’elle réfute fermement.

Alors qu’elle était venue passer quelques jours de vacances en Turquie, son pays d’origine, elle a été arrêtée à l’aéroport d’Ankara. « Je suis actuellement en résidence surveillée à Ankara chez ma sœur. jusqu’à ce que la justice turque m’envoie une convocation. En attendant, je dois me présenter deux fois par semaine au commissariat », explique-t-elle au Figaro. « On m’accuse de faire l’apologie du PKK », ajoute-t-elle.

Lors de son interrogatoire, les autorités turques lui ont d’abord montré plusieurs captures d’écran tirées de son compte Facebook. « Certaines datent de 2014, je ne me souviens même plus les avoir publiées. » Ces publications incluent notamment, « les images de jeunes femmes kurdes combattant l’État islamique à Kobanê, un texte sur les enfants kurdes écrasés par des chars turcs au Kurdistan turc, un hommage à Ugur Kaymaz, un enfant kurde de 12 ans tué par l’armée turque en 2004 », détaille Kudret Günes.

Elle raconte la vie des Kurdes depuis 30 ans

Depuis une trentaine d’années, elle réalise principalement des courts métrages dans lesquels elle raconte la vie des Kurdes. L’un de ses premiers courts métrages en 2022, Leyla Zana, le cri au-delà de la voix étouffée, dresse le portrait d’une députée kurde condamnée à 15 ans de prison pour son engagement politique, à travers le regard de ses proches. Ce film a obtenu plusieurs récompenses, dont le prix Olivier-Quémener au Festival international du grand reportage d’actualité en 2003. Sa dernière réalisation, La Mariée de la pluie, a obtenu en 2018 le grand prix du meilleur court métrage au festival du film kurde à Londres.

Sa BD mise en cause par la justice turque

Avec La Liberté dans le sang, publié en 2024 chez Marabulles, Kudret Günes s’essaye pour la première fois à la bande dessinée. Certaines cases lui auraient été présentées lors de son interrogatoire avec la police turque. La BD aborde le sort d’une jeune femme kurde luttant contre Daesh. L’œuvre évoque sans détour les violences policières, les abus sexuels, et l’engagement des combattantes kurdes dans les unités peshmergas ou le YPG (Unités de protection du peuple). Le Parti des travailleurs du Kurdistan, considéré par la Turquie comme terroriste, « n’est pas directement mentionné », souligne Christophe Girard, le dessinateur de la bande dessinée.

Cette planche de La Liberté dans le sang a été présentée à Kudret Günes lors de son interrogatoire. Marabulles

« Ceux qui l’ont lu voient clairement que je parle des femmes kurdes luttant contre Daesh, des femmes vendues sur le marché comme esclaves sexuelles et des enfants victimes de ces sales guerres. Ces jeunes femmes qui ont abandonné leurs études ont sauvé le monde de Daesh pour leur liberté », déclare-t-elle.

Les premières pages de la bande dessinée montrent Rojin, la protagoniste, qui s’enfuit in extremis de son mariage forcé avec un Turc, choisit par ses parents. Dans sa fuite, elle rencontre un homme attristé. Il vient de perdre sa femme après un attentat à la bombe à Marrakech, commandité par Al-Qaïda. « Les premiers mois après la publication ont été assez calmes. Je pensais qu’on allait avoir plus de pression », confie Christophe Girard. De son côté, les éditions Marabulles n’ont pas répondu aux sollicitations du Figaro.

Un récit remarqué aux Galons de la BD

Si les ventes de La Liberté dans le sang restent modestes selon Christophe Girard, la bande dessinée faisait tout de même partie des quinze finalistes sélectionnés par les Galons de la BD, prix décerné par le ministère des Armées. « Le livre a été très bien reçu, mais la charge politique a sans doute fait reculer une partie du jury », estime-t-il. Le dessinateur est un habitué des récits engagés. « J’ai déjà reçu des menaces de la part de consuls, des interdictions de séjour sur certains territoires. Mais ce n’est que des intimidations », explique-t-il. L’interpellation de Kudret Günes est bien plus préoccupante. « Je sais qu’elle a peur. Elle n’est pas rassurée », ajoute-t-il.

Mercredi 28 mai, une pétition lancée sur internet par Amar Benhamouche, un auteur indépendant et ami de Kudret Günes, appelle à sa libération immédiate, dénonçant « la continuité de la discrimination des Kurdes » et « le racisme d’État exercé à leur encontre ». Son texte s’ouvre sur une formule cinglante : « Les régimes autoritaires ont l’intelligence en horreur. Ainsi combattent-ils les écrivains, les poètes, les artistes, toute voix subversive et indomptable, libre. »