Covid-19 : pourquoi l'origine du virus reste un mystère, cinq ans après le début de la pandémie
"Je déclare l'épidémie, une urgence de santé publique de portée internationale." Le 30 janvier 2020, le directeur de l'Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, lançait l'alerte mondiale en raison de la propagation du Covid-19. Cinq ans après le début de la pandémie, qui a fait des millions de morts dans le monde entier, l'origine du Sars-CoV-2, le virus responsable de la maladie, demeure floue. La CIA, la principale agence de renseignement des Etats-Unis, a estimé samedi 25 janvier, avec toutefois "un faible degré de confiance", que la genèse de la pandémie "liée à des recherches" dans des laboratoires en Chine était "plus probable qu'une origine naturelle".
Depuis le début de la circulation du virus, deux thèses s'affrontent pour expliquer l'origine du Sars-CoV-2 : celle d'une transmission par des animaux qui auraient infecté les premiers humains sur le marché de Wuhan, ville du centre de la Chine considérée comme le berceau de la pandémie par la communauté scientifique, et celle d'une fuite ou d'un accident dans un laboratoire de cette même ville. Malgré les nombreuses recherches, les deux pistes restent en balance et continuent de diviser la communauté scientifique.
A la recherche de "l'hôte intermédiaire"
Pour Florence Débarre, chercheuse en biologie évolutive au CNRS, "toutes les données actuelles vont dans le sens d'une origine naturelle liée à la vente d'animaux". Son point de vue est soutenu par plusieurs études. L'une d'entre elles, publiée dans la prestigieuse revue Science en 2022, a analysé la géographie des cas de Covid-19 durant le mois de décembre 2019 et montre qu'ils étaient étroitement rassemblés autour du marché de Wuhan.
Par ailleurs, les chercheurs ont identifié dans le sud de la Chine des chauves-souris porteuses de virus cousins du Sars-CoV-2. "Mais ces virus comportent environ 1 000 mutations par rapport au Sars-CoV-2, ce qui est beaucoup", analyse Etienne Decroly, directeur de recherche au CNRS et spécialiste des virus émergents, auprès du Parisien. Un virus plus proche a été prélevé au Laos en 2020 sur une autre espèce de chauve-souris, rappelle Le Monde. Des pièces manquent encore au puzzle pour expliquer comment l'homme a été infecté alors que ces chauves-souris vivent à des milliers de kilomètres du marché.
La communauté scientifique s'attelle donc depuis cinq ans à trouver "l'hôte intermédiaire" qui a transmis le virus à l'homme. La piste du pangolin n'apparaît plus comme l'hypothèse privilégiée. "Il y a des virus proches de Sars-CoV-2 qui circulent dans des populations de pangolins, mais il n'y a pas de preuve qu'ils sont ceux qui ont infecté les humains", explique Florence Débarre. De plus, "il n'y avait pas de pangolins au marché de Wuhan", relève l'épidémiologiste Renaud Piarroux, chef de service à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Une étude publiée en septembre 2024 dans la revue Cell apporte de nouveaux éléments qui renforcent la piste d'une zoonose (c'est-à-dire d'une maladie transmise à l'homme par des animaux au marché de Wuhan) et s'intéresse à d'autres mammifères. Ces travaux reposent sur l'analyse d'échantillons collectés début janvier 2020 dans ce marché où étaient vendues différentes espèces d'animaux sauvages. Les scientifiques ont formellement identifié la présence de civettes et de chiens viverrins, une espèce canine proche du renard et connue pour transmettre des virus similaires au Sars-CoV-2. "Ces animaux étaient présents dans le coin sud-ouest du marché, qui se trouve aussi être une zone dans laquelle une grande quantité de virus a été détectée", explique Florence Débarre, coautrice de l'étude.
En parallèle, "des chariots d'animaux, une cage, un chariot à ordures et une machine à enlever les poils et plumes provenant d'un stand de faune sauvage" ont été testés positifs au Sars-CoV-2 au même moment, selon les auteurs. Avec ces données, mises à disposition par des scientifiques chinois, les chercheurs estiment que "soit les animaux présents sur cet étal ont libéré le Sars-CoV-2 détecté sur le matériel pour animaux, soit des cas humains précoces non signalés de Covid-19 ont émis le virus au même endroit exact que les animaux détectés", avancent les auteurs de l'étude.
"On ne peut pas démontrer que ces animaux étaient infectés. On le suspecte, mais on ne peut pas le dire avec certitude."
Florence Débarre, chercheuse au CNRSà franceinfo
L'hypothèse du chien viverrin comme hôte intermédiaire reste donc "discutable", selon l'épidémiologiste Renaud Piarroux. Une étude publiée en décembre par des chercheurs chinois suggère que "la protéine Spike du virus n'est pas très adaptée au récepteur qui se trouve sur cet animal". La théorie de la zoonose est de plus en plus "difficile à tenir sans avoir trouvé l'hôte intermédiaire", juge-t-il. Florence Débarre nuance toutefois ce point en avançant que "cette expérience montre que des variants récents de Sars-CoV-2 interagissent moins bien" avec cette espèce, mais qu'elle "n'invalide pas pour autant les nombreux autres articles montrant que les chiens viverrins peuvent être infectés".
Un "accident de laboratoire" n'est plus exclu
"Comme on ne trouve pas de trace directe du virus parent et qu'on a du mal à identifier l'hôte intermédiaire, il est logique d'envisager d'autres hypothèses", ajoute Etienne Decroly au Parisien. La théorie d'une fabrication volontaire du virus en laboratoire en vue de l'introduire au sein de la population "est rejetée par la quasi-totalité de la communauté scientifique", écrivait en 2023 l'Institut Pasteur. "Elle a notamment été alimentée par des fake news ou encore certains articles, controversés et dénués de fondement scientifique", selon cette source.
En revanche, la thèse d'une fuite involontaire du virus a gagné en popularité, y compris chez les chercheurs. "On peut s'interroger sur la possibilité d'un accident de laboratoire, que ce soit lors de la collecte d'échantillons, au moment où l'on tente de cultiver des virus, et parfois quand on les manipule génétiquement pour comprendre comment ils peuvent passer d'une espèce à l'autre", énumère Etienne Decroly auprès du quotidien. Les tenants de cette analyse citent également des informations sur l'absence de normes de biosécurité suffisantes au sein du laboratoire de Wuhan.
"Cette hypothèse a aussi été renforcée par le fait qu'on a identifié un projet de recherche coécrit par des chercheurs américains et des membres de l'institut de virologie de Wuhan, qui prévoyait de construire un virus qui a les caractéristiques de Sars-CoV-2 pour étudier sa capacité à entrer dans des cellules humaines et mettre au point des stratégies pour s'en protéger", détaille Renaud Piarroux. Le projet, baptisé "Defuse", a été rédigé un an avant le début de la pandémie. Mais rien ne permet d'établir qu'il a été mis en œuvre.
"La découverte du projet Defuse renforce l'hypothèse du laboratoire, mais ça n'en fait pas la preuve."
Renaud Piarroux, épidémiologisteà franceinfo
Dans les colonnes du Monde, Alina Chan, biologiste moléculaire au Broad Institute des universités américaines Harvard et MIT, penche pour l'explication de l'accident de laboratoire mais estime que les preuves sont encore insuffisantes pour conclure dans un sens ou un autre. "Mon sentiment est qu'aucune hypothèse n'est aujourd'hui plus probable que l'autre. Tant qu'il n'y a pas de certitude, ces deux possibilités sont sur la table avec, pour chacune d'entre elles, des chaînons manquants faisant qu'il est impossible de conclure", abonde Etienne Decroly.
La Chine accusée de manquer de transparence
De son côté, la Chine continue d'estimer "extrêmement improbable" l'hypothèse d'une fuite d'un virus depuis un laboratoire. De nombreux scientifiques pointent la responsabilité de Pékin pour expliquer l'absence de réponse définitive sur l'origine du virus. "Beaucoup d'informations ont déjà été partagées sur le début de la pandémie, mais il y a malheureusement peu de transparence sur certains points critiques, et encore quelques données à rendre publiques par les autorités chinoises", selon Florence Débarre.
Les inspecteurs de la mission conjointe de l'OMS et de la Chine qui se sont rendus à Wuhan, en janvier 2021, ont relaté les tensions ressenties lors de leur visite et le manque d'accès à certaines données. L'organisation onusienne, qui continue de réclamer davantage de transparence de la part de Pékin, a constitué en novembre 2021 un groupe consultatif scientifique sur l'origine des nouveaux agents pathogènes, qui doit rendre prochainement un nouveau rapport sur le Sars-Cov-2, rapporte Le Monde. "Que la propagation du virus soit d'origine animale ou qu'elle soit liée à un laboratoire, la Chine n'a pas envie qu'on trouve la réponse", juge Renaud Piarroux.