En moins de vingt-quatre heures, Sébastien Lecornu a annoncé son gouvernement, démissionné, puis a été mandaté pour conduire d’ici mercredi d’«ultimes consultations» afin d’accoucher d’une «plateforme d’action et de stabilité». À l’Élysée, on promet de «prendre [ses] responsabilités» si la négociation cale, signe que l’arbitrage approche à grands pas.
Une nouvelle nomination pour qu’Emmanuel Macron «ne gouverne plus» ?
Premier scénario, le plus «institutionnel» : nommer un chef du gouvernement capable d’agréger une majorité de projets. C’est la voie défendue à droite par Les Républicains... à condition qu’il s’agisse d’une cohabitation claire. «Nous sommes prêts à gouverner, mais seulement dans un gouvernement de cohabitation», pose Bruno Retailleau, qui refuse toute dilution de LR dans la macronie. De son côté, François-Xavier Bellamy souhaite que «le président ne gouverne plus» et plaide pour un véritable renouvellement politique. Le vice-président des Républicains invite ainsi Emmanuel Macron à renoncer à gouverner seul et à chercher une issue dépassant les logiques de blocs. Mais sans majorité solide à l’Assemblée nationale, tout nouveau gouvernement resterait exposé au risque d’une motion de censure rapide.
Passer la publicitéReste que la «cohabitation» réclamée par LR n’aurait rien de classique. Sous la Ve République, elle suppose une majorité opposée au président, capable d’imposer son premier ministre. Or LR ne compte qu’une petite cinquantaine de députés : il ne pourrait gouverner qu’avec l’appui d’une partie du camp macroniste. Ce serait donc une cohabitation fragile, sans véritable renversement du rapport de force. Le gouvernement sortant, lui, reposait déjà sur des soutiens de droite, ou issus de celle-ci. La différence tiendrait moins dans la pratique que dans le symbole : LR voudrait exister politiquement sans se dissoudre dans la majorité.
À gauche, le Parti socialiste réclame une nomination «issue de la gauche et des écologistes», Olivier Faure assurant qu’un socialiste répondrait «positivement» si Matignon lui était proposé. Son secrétaire général, Pierre Jouvet, précise qu’il s’agirait d’un premier ministre ouvert au compromis, s’engageant à ne pas recourir au 49.3. Les Verts privilégient, eux, la cohabition «choisie par les Français» en 2024. Mais LFI rompt la cadence et souhaite aller plus loin, conscient que les rapports de force au sein du Parlement excluent toute solution insoumise sur le plan pratique. Globalement, le centre, lui, martèle la ligne du compromis parlementaire.
Risquer une deuxième dissolution ?
Deuxième voie, la dissolution : l’arme présidentielle par excellence, politiquement tentante, juridiquement balisée (consultation préalable du premier ministre et des présidents des deux chambres), mais au résultat incertain. Marine Le Pen somme le chef de l’État de «choisir entre démission et dissolution» ; de son côté, l’intergroupe RN-UDR d’Éric Ciotti promet de «censurer systématiquement tout gouvernement» tant que l’une de ces deux issues n’aura pas été retenue.
À lire aussi Dissolution, démission : ce scénario noir qui menace la France
À gauche, la démission de Sébastien Lecornu n’a pas déclenché d’appel à la dissolution. Au PS, Pierre Jouvet «n’appelle ni à la dissolution, ni au départ du chef de l’État». Les écologistes tiennent la même ligne : trouver une issue parlementaire sans replonger le pays dans un scrutin incertain. La France insoumise, en revanche, reste sur une position de rupture. Manuel Bompard estime que «rien ne permet de dire que la dissolution permettrait de sortir du blocage».
Faire preuve de «sagesse» en choisissant la démission ?
Troisième option, la plus radicale : la démission. LFI la réclame, une partie de la droite y voit une «solution de sagesse», et l’opinion publique pousse dans ce sens : selon un sondage Odoxa-Backbone pour Le Figaro, 70% des Français y sont favorables, quand à peine un sur cinq souhaite la simple nomination d’un nouveau premier ministre. Reste que la procédure de destitution, elle, demeure un Everest constitutionnel (majorités qualifiées aux deux chambres réunies en Haute Cour), et que le chef de l’État a répété vouloir aller au bout de son mandat.
Passer la publicitéNombreux sont les promoteurs d’un départ prématuré du chef de l’État. Ce mardi matin, Édouard Philippe a proposé sur RTL, façon sortie ordonnée, qu’Emmanuel Macron «nomme un premier ministre pour faire voter le budget, puis organise une présidentielle anticipée». David Lisnard, maire LR de Cannes, a pour sa part appelé le président à «programmer sa démission» pour débloquer la crise politique. Le Rassemblement national, lui, entretient une certaine ambiguïté : Marine Le Pen demande à Emmanuel Macron de «choisir entre démission et dissolution», tandis que Jordan Bardella évoque un simple « retour au peuple». À gauche, LFI soutient la démission immédiate, quand le PS et les écologistes défendent une solution parlementaire, sans rupture institutionnelle.
Dans ce paysage, les lignes rouges s’additionnent plus vite que les compromis : LR accepte de jouer... mais seulement en cohabitation ; le PS veut gouverner sans LFI ; le RN et ses alliés promettent la censure jusqu’au bout des urnes ; les écologistes plaident une cohabitation stabilisée ; l’ex-majorité défend l’idée d’un contrat législatif minimal pour passer le budget. Le problème n’est pas tant l’absence d’options que l’absence d’intersection entre exigences concurrentes.
Au bout du compte, deux réalités s’imposent. La première est arithmétique : sans socle majoritaire, tout gouvernement est fragile et vulnérable à la censure immédiate. La seconde est juridique : la dissolution appartient au président de la République - après consultations - mais n’offre aucune garantie de déblocage ; la destitution, elle, relève de l’exception absolue. Entre les deux, un premier ministre «tampon» et un pacte de législature pourraient restaurer un minimum de pilotage... s’il existe un terrain d’entente. C’est précisément ce que doit mesurer la mission Lecornu dans les prochaines heures.