Mylène Farmer au Stade de France : la démesure et la proximité

En 1991, Mylène Farmer donnait la réplique à Jean-Louis Murat dans une chanson restée célèbre, Regrets. Aujourd'hui, plus d'un an après la disparition de celui-ci, elle lui rend un bel hommage en diffusant le clip du titre en préambule de son show. Reportée de plus d'un an à la suite des émeutes consécutives à la mort du jeune Nahel, la série de concerts de la chanteuse était très attendue par ses fans. Lesquels auront scruté les détails du spectacle avant d'en faire l'expérience. 

Un vol de corbeaux signale l'imminence du coup d'envoi, sur un morceau de Sigur Ros. L'oiseau est au centre d'une scénographie très réussie, qui parvient à ne jamais prendre le pas sur les chansons. L'introduction prend son temps, et le public est chauffé à blanc alors que Mylène Farmer apparaît assez sobrement. 

L'ambiance est sombre et gothique, avec des épouvantails noirs géants disposés sur la scène. L'écran est devenu l'œil du corbeau en gros plan. On pense beaucoup aux Oiseaux d'Alfred Hitchcock dans ce premier acte. Les écrans montrent une structure sur laquelle les corbeaux viennent s'accrocher. La voix est diaphane, le rythme martelé, tandis que la star surplombe le public dans une nacelle. Il faut attendre deux titres avant que le premier tube résonne, ce Libertine de 1986 qui avait tant marqué son époque et qui fait rugir les spectateurs qui crient « Mylène » avec un bel enthousiasme.

La voix est diaphane, le rythme martelé, tandis que la star surplombe le public dans une nacelle. Claude Gassian

Mylène Farmer n’a pas joué la carte du best-of

Le deuxième acte marque l'irruption d'une quinzaine de danseurs et d'un groupe de musiciens. Les chorégraphies sont réglées comme du papier à musique. La plupart sont de Mylène Farmer elle-même, certaines sont cosignées avec Christophe Danchaud. Parris Goebel et Aziz Bouki se chargent des autres. Silhouette impeccable, gestuelle gracile, Mylène Farmer impressionne, quarante ans après ses débuts. On est plus réservé sur certains arrangements qui lissent un peu les chansons. 

Mylène Farmer au chanté à l'intérieur d'un corbeau géant, en redingote dorée, revisitant le tube Tristana, Claude Gassian

Mais on reconnaîtra à la chanteuse de ne pas avoir joué la carte du best-of pour creuser son répertoire récent, tiré de son dernier album en date. C'est une belle journée, de 2001, chantée dans les graves, constitue un moment de grâce de ce deuxième tableau, pendant lequel Mylène Farmer aura chanté à l'intérieur d'un corbeau géant, en redingote dorée, revisitant le tube Tristana, qu'elle reprend sur cette tournée après l'avoir mise de côté 35 années. Un medley instrumental ponctué d'une chorgéraphie en latex noir permet de revisiter des mélodies familières.

Mais c'est avec le troisième tableau que le show atteint sa vitesse de croisière. Oliver et Simon, du groupe Aaron, collaborateurs de la chanteuse, la rejoignent sur Rayon vert. Ensuite, Mylène Farmer rejoint le fidèle Yvan Cassar – collaborateur depuis 1995 – assis derrière un piano à queue sur une scène secondaire, sise au milieu de la fosse. L'interprétation en piano/voix de Rêver, très sobre, constitue, comme le veut la tradition, l'acmé de la soirée. En robe argentée très chic, Mylène Farmer y est très émouvante puis très émue lorsque le public lui chante « Je vous aime ». Bientôt, le reste du groupe les rejoint pour un passage acoustique qui réserve une autre surprise, de taille : la participation du chanteur Seal, qui duettise avec la Française sur Les Mots. Dommage que la séquence se referme avec Que l'aube est belle, composition pompeuse de Woodkid à la coda interminable.

Le duo surprise avec Seal sur Les Mots Claude Gassian

Place au musiciens et à la musique 

Jamais un show de Mylène Farmer aura autant laissé de place à la musique et aux musiciens que celui-ci. Si elle a souvent privilégié des mises en scène claustrophobes par le passé, la chanteuse semble désormais bien plus ouverte au monde. En conservant sa singularité et ses thèmes de prédilection, elle parvient à sortir d'elle-même pour prendre le public dans ses bras.

L'acte III est le plus ludique de la soirée, avec une belle interprétation de Sans contrefaçon, reprise en chœur, la plus récente Oui, mais non, nouveau single et le retour du corbeau. Sur Que je devienne, Mylène Farmer, sur une plate-forme surélevée, frôle la figure géante de la mort, avec sa cape noire et sa capuche démesurée. 

Jamais aura-t-on senti la chanteuse autant en communion avec les danseurs et les musiciens qui l'entourent. Les guitares électriques grincent, on aborde la passage un peu grunge correspondant à son orientation du milieu des années 1990. Gibson et Gretsch en majesté, les deux guitaristes sont mis en avant sur le titre XXL et son appel à l'amour. 

Avant-dernière chanson, Désenchantée bénéficie d'une nouvelle intro à la Pink Floyd, ponctuée par la présence de danseurs déguisés en corbeaux blancs. Le tube est devenu un véritable hymne trans générationnel. Un standard inusable dont les paroles prennent de plus en plus de poids avec les ans. Mylène Farmer fait durer le plaisir en exhortant le public à chanter et à reprendre le refrain. Une fois, deux fois et encore ! L’artiste et goûte le privilège d'avoir une « chanson qui rassemble. » Et qui ressemble aux spectateurs, heureux et fiers, malgré la pluie, d'avoir pu vibrer durant ce spectacle superlatif d'une chanteuse décidément hors du commun.