Violence, sexe et jeux d’argent : Kick, la sulfureuse plateforme au cœur de la mort du streamer Jean Pormanove
«Argent», «frauduleux», «casino», «porno». Le portrait de la plateforme Kick que dressait le streamer Zerator dans une vidéo publiée en 2023 n’est guère élogieux. Et pour cause, le service de vidéos en direct cumule les bavures ternissant sa réputation. Dernière en date : la mort du streamer Raphaël Graven, connu sous le pseudonyme Jean Pormanove, en direct sur Kick ce lundi 18 août. Sur la chaîne tenue par un quatuor de streamers, le quadragénaire subissait régulièrement les moqueries et les violences physiques infligées par deux de ses collaborateurs, Naruto et Safine. Il est décédé après quelque 300 heures de tournage en direct, durant lesquelles s’étaient succédé les scènes de maltraitance sous les yeux de plusieurs milliers de spectateurs.
De nombreux internautes imputent ainsi le drame au laxisme de la plateforme Kick, qui a permis la diffusion et la rémunération de telles images de violence pendant plusieurs mois. Et ce, malgré une enquête de Mediapart dénonçant ces dérives en décembre 2024. L’entreprise avait d’ailleurs relayé des extraits de vidéos tournant Jean Pormanove en dérision dans le cadre de sa communication sur le réseau social X, avant de supprimer ces publications. Créée en décembre 2022 par Bijan Tehrani et Edward Craven, cofondateurs du casino en ligne Stake, alors que le leader de la vidéo en direct Twitch venait d’interdire les jeux d’argent, la plateforme Kick a misé dès ses débuts sur une politique de modération particulièrement indulgente pour attirer les créateurs de contenus.
Passer la publicitéPolitique de modération permissive
Jeux d’argent, mais aussi images violentes ou à caractère sexuel, sont ainsi tolérés sur le site Kick, qui propose à ses utilisateurs de se filmer et d’interagir en direct avec leur public selon le même modèle que Twitch. Si les conditions générales d’utilisation des deux entreprises affichent des règles similaires – en engageant la responsabilité de l’utilisateur sur les contenus publiés et en interdisant les contenus «illégaux», «diffamatoires» ou «obscènes» – Twitch applique en effet des sanctions plus fréquentes, telles que des suspensions de chaîne, en cas de manquement à ces interdictions.
C’est ainsi que la plateforme Kick a appâté nombre de streamers controversés, bridés par la plateforme concurrente. À l’instar de l’américain Adin Ross, dont le compte Twitch a été suspendu huit fois avant d’être définitivement banni en 2023. Connu pour ses propos homophobes et racistes, le streamer proche du masculiniste Andrew Tate a d’ailleurs fait polémique dès son arrivée sur Kick en diffusant des extraits du site pour adulte Pornhub sur la plateforme. Autre exemple emblématique : celui de Amouranth, streameuse et actrice pornographique sur OnlyFans, dont les vidéos avaient été jugées trop ’sulfureuses’ par la plateforme Twitch.
«Kick tourne au sexe et à la violence»
Malgré les polémiques, les chaînes d’Adin Ross et d’Amouranth sont toujours actives sur Kick à ce jour, cumulant respectivement 1,8 million et 266 000 abonnés. Quant à la chaîne de Jean Pormanove, elle a été bannie «dans l’attente de l’enquête en cours» sur le décès du streamer. Elle avait déjà été suspendue pendant une semaine l’année dernière, avant de réapparaître le 10 décembre 2024, d’après Mediapart. Une vidéo du quatuor de streamers «dans laquelle ils se fendent de saluts nazis flanqués d’une moustache hitlérienne et multiplient les gifles sur une personne handicapée, a aussi été remise en ligne. Coïncidence : après de nouvelles questions de Mediapart à Kick à propos de cette vidéo, elle a été retirée», précisait le média d’investigation.
«Kick tourne au sexe et la violence. Les streamers ont compris que la provocation génère l’interaction des spectateurs, les faisant ainsi monter en visibilité dans le système de recommandation de la plateforme», observe le collectif Mineurs Éthiques Et Réseaux (Meer) qui œuvre pour la sécurité des jeunes sur les réseaux sociaux. «Et Kick a intérêt à laisser faire puisque l’entreprise touche une commission sur les revenus de ses streamers», poursuit le groupe d’activistes.
+149% d’audience en 2024
Outre sa politique de modération permissive, la plateforme se targue d’une politique de rémunération plus avantageuse que celles de son concurrent. De même que sur Twitch, les utilisateurs de Kick peuvent souscrire à un abonnement mensuel aux streamers de leurs choix, mais aussi reverser des dons ponctuels pendant les vidéos en direct. La plateforme promet alors de reverser 95% des revenus liés aux abonnements aux streamers (soit une commission de 5% prélevée par Kick, contre 30 à 50% sur Twitch) ainsi que 100% des dons et des pourboires versés par les abonnés. Seule contrainte : pour commencer à percevoir les sommes provenant des abonnements, les créateurs doivent avoir diffusé pendant plus de cinq heures et compter au moins 75 abonnés.
Passer la publicitéÀ son lancement, Kick avait par ailleurs fait miroiter de juteux contrats aux streamers les plus influents de Twitch pour les inciter à rejoindre la nouvelle plateforme. En juin 2023, l’entreprise avait par exemple déboursé 100 millions de dollars pour s’assurer la diffusion des vidéos du streamer canadien XQc sur son site durant deux ans. Au mois d’août 2025, Kick revendiquait une audience de 817 000 personnes sur un mois, soit moins du tiers de ce qu’affiche Twitch sur la même période (2,1 millions), selon le site StreamCharts. Son audience reste néanmoins en croissance, avec une augmentation de 149% du nombre de spectateurs entre 2023 et 2024. «Il y a des jeunes qui vont découvrir Kick avec la médiatisation du décès de Jean Pormanove. Même si c’est un bad buzz, cela reste un buzz qui peut leur faire de la publicité et attirer de nouveaux utilisateurs», redoute une activiste du collectif Meer.