«Le centre de recyclage de batteries le plus proche est à Strasbourg...» : pourquoi y a-t-il si peu de voitures électriques en outre-mer ?

En 2024, une nouvelle fois, les immatriculations de voitures électriques neuves se sont montrées très en deçà dans les territoires ultramarins par rapport à celles de l’hexagone. Selon les chiffres du baromètre Avere / AAA Data, obtenus par Le Figaro : cette année, seulement 146 véhicules électriques neufs se sont vendus dans les DROM (Guadeloupe, Guyane, La RéunionMartinique, Mayotte), et 67 véhicules dans les COM (Saint-Barthélemy, Saint-Martin, Saint-Pierre-et-Miquelon). Contre - pour donner un ordre de grandeur - une centaine de milliers de modèles en Île-de-France, avec toutefois 4,5 fois d’habitants en plus et des dynamiques économiques n’ayant rien à voir.

Pour autant, ces chiffres illustrent que la transition vers la mobilité électrique se heurte encore à de nombreux défis dans les territoires d’outre-mer. L’exemple de La Réunion est parlant. C’est aujourd’hui le département ultramarin avec le parc automobile le plus électrifié. Et pourtant les obstacles restent nombreux.

Le premier étant son prix. Contrairement à la métropole où les constructeurs contrôlent directement leurs réseaux, dans les DROM-COM les véhicules sont vendus par des revendeurs indépendants, qui naturellement prennent une marge à la revente.

Ensuite, là où en Europe continentale, les concessions ou distributeurs de premières mains fonctionnent en flux tendu (avec des livraisons quotidiennes), La Réunion subit des délais de 3 à 4 semaines pour l’acheminement des véhicules depuis la métropole, indique Marc Antoine Bru président d’Electro’Ker, une association qui milite en faveur la mobilité électrique.

Pour y remédier les importateurs réunionnais achètent donc ces véhicules par centaines, dans l’idée de rentabiliser le transport. Sauf que ce fonctionnement entraîne des coûts de stockage. En plus, «nous sommes très dépendants du prix imposé par les transporteurs», indique Vincent Hoarau, spécialiste de l’électrique du groupe d’importation automobile Caillé.

Autre problème de l’importation, il peut y avoir un décalage «de 4 mois», entre une baisse de prix annoncée en métropole, et des baisses qui ne s’appliquent localement qu’après l’écoulement des stocks existants. «Cela crée parfois un écart de prix de 5000 euros, à l’instant T», indique Marc Antoine Bru.

Recyclage des batteries 

Avant de vendre un véhicule, et donc de fixer un prix, les revendeurs doivent élucider un dernier casse-tête. Les vendeurs de voitures électriques font face à une obligation légale inscrite dans le Code de l’environnement : assurer le recyclage de la batterie d’un véhicule vendu, à la fin de sa vie. Sauf que ces centres de recyclages n’existent pas en outre-mer. À la Réunion, «le centre le plus proche est à Strasbourg», illustre Vincent Hoareau.

Le coût d’acheminement d’une batterie vers La Réunion oscille entre 15 et 20 euros le kilo de batterie, cette règle oblige donc les revendeurs à approvisionner environ 4000 euros pour anticiper leur recyclage. Mis bout à bout, et même si parfois ces contraintes concernent tout type de véhicules, l’écart se creuse fortement entre le prix d’achat d’un véhicule thermique et d’un véhicule électrique dans les territoires ultramarins. «Si je prends une Peugeot 208, il y a une différence qui oscille de 4500 euros à 9000 euros entre le thermique et l’électrique», indique Vincent Hoareau.

Pour essayer de réduire cet écart, l’État a mis en place un bonus écologique à l’achat, majoré de 1000 euros dans les territoires ultramarins. Dans les DROM, le taux normal de TVA est fixé à 8,5% contre 20% en métropole. Jusqu’ici les voitures électriques étaient même dispensées de la taxe de l’octroi mer à La Réunion (taxe sur les produits importés qui permet de fiancer les collectivités d’outre-mer). C’est terminé depuis le 1er mars. Et nos deux sources sentent le vent tourner et s’en inquiètent. Au 1er mars 2025, La Réunion a décidé de mettre en place un octroi de mer progressif sur les voitures électriques, allant de 0% à 24,5% du prix du véhicule. Une décision qui pourrait encore freiner l’implantation de l’électrique à La Réunion, s’inquiètent Vincent Hoareau et Marc Antoine Bru.

Le manque d’infrastructure «n’est pas spécialement responsable» de la situation

Dans l’esprit d’un consommateur, pour acheter une voiture électrique, il faut pouvoir la recharger n’importe où. Les chiffres du baromètre Avere/ AAA Data de mars 2024, montrent là aussi un retard dans les infrastructures publiques de recharge dans les territoires ultramarins. En Île-de-France, on compte 174 bornes pour 100.000 habitants, là où dans les territoires ultramarins ce chiffre oscille entre 30 et 45 bornes, en moyenne, pour 100.000 habitants.

Mais pour Vincent Hoareau et Marc Antoine Bru ce faible taux n’est pas un problème. «Nous sommes sur une île donc peu importe où vous êtes vous pouvez revenir chez vous sans problème d’autonomie», explique Vincent Hoareau. D’autant plus que deux tiers des logements sont à La Réunion des maisons individuelles, où le particulier peut donc installer sa propre borne de recharge.

En fin de course, un frein peut encore subsister : un obstacle culturel. «Je pense que les articles de presse qui stigmatisent les voitures électriques sont responsables», partage Vincent Hoareau en toute franchise. «Ici une mauvaise information circule facilement et peut faire beaucoup de mal au développement de l’électrique», ajoute-t-il. «Il y a aussi un réel frein social, le Réunionnais est très attaché à la voiture, celle qui pue l’essence, fait du bruit», conclut Marc Antoine Bru.