Corée du Nord : le nouveau destroyer lance-missiles, qui avait chaviré lors de son lancement, remis partiellement à flot
Ce devait être un jour glorieux pour la petite marine nord-coréenne, mais ce fut finalement un instant piteux que vécut Kim Jong-un, courroucé par le spectacle qui lui fut offert en direct. La propagande millimétrée du régime, parfois, se grippe. Le 21 mai dernier au chantier naval de Chongjin, le dictateur nord-coréen assiste en personne au lancement du nouveau destroyer lance-missiles de classe Choe Hyun, un navire de 5000 tonnes - jamais la Corée du Nord n’en a possédé de tel ! - aux allures des plus modernes. C’est le deuxième mis à l’eau après un premier succès le 25 avril, moins d’un mois auparavant. Sauf que cette fois, le bâtiment, placé sur cale parallèlement au quai, glisse latéralement vers l’eau, mais le mécanisme de lancement se bloque au niveau de la proue, qui reste à terre, tandis que la proue, elle, s’enfonce dans l’eau. Le destroyer chavire et se retrouve partiellement submergé, le rêve naval de Kim Jong-un avec.
Aussitôt, plutôt que de cacher l’incident, le dictateur communiste choisit de fulminer dans une série de communiqués officiels dans lesquels il dénonce un «acte criminel causé par une négligence absolue» qui «ne peut être toléré». L’agence de presse officielle KCNA annonce quelques jours plus tard l’arrestation de trois «responsables» : l’ingénieur en chef du chantier naval, le chef de l’atelier de construction et un directeur administratif. Il fallait certes sanctionner hâtivement des coupables, mais restait le plus difficile, remettre à l’eau le destroyer transformé en impraticable submersible, pour laver l’affront. Et le restaurer avant la fin du mois de juin, d’après les instructions du dictateur humilié...
Dans des images satellitaires d’Airbus Defence and Space datées du 29 mai, , l’opération de relevage était en cours le 29 mai. «Le redressement du navire s’est fait manuellement. On voit des ouvriers sur le quai tirer sur des amarres, vraisemblablement reliées au navire. Au moins 30 ballons de barrage, probablement utilisés pour le barrage, étaient positionnés sur un seul côté du navire», raconte le média spécialisé dans les affaires nord-coréennes «38 North». Dès le 22 mai, au lendemain de l’incident, KCNA avait expliqué qu’il fallait deux à trois jours pour pomper l’eau de mer et «une dizaine de jours pour remettre en état le flanc du navire». À ce stade, le tempo semble respecté.
Dans de nouvelles photographies datées cette fois du 2 juin, le destroyer de classe Choe Hyun apparaît cette fois debout et droit, à la verticale. Remise à flot, la poupe n’est plus submergée, mais la proue, elle, est toujours à terre. «38 North» soupçonne que les Nord-Coréens tenteront de la sorte de réparer les dégâts occasionnés à l’avant du navire, notamment à hauteur de la section sonar, qui pourraient être sérieux. Le jour de l’incident, KCNA avait reconnu que «certaines sections du fond du navire de guerre avaient été broyées» et que «l’équilibre du navire de guerre» était «détruit». Or, le chantier naval ne dispose pas de cale sèche flottante pour mener des réparations lourdes. Le maintenir partiellement hors de l’eau pourrait permettre de pallier cette absence.
Reste qu’une restauration complète du navire n’aura certainement pas lieu avant la fin du mois de juin, d’autant que la mise à l’eau d’un navire n’est qu’une première étape avant son admission au service actif. Une fois qu’il a été lancé, des travaux doivent de toute façon encore être réalisés avant de mener les essais en mer. Le Choe Hyun, mis à l’eau avec succès en avril, et son sistership accidenté devaient rejoindre officiellement la marine nord-coréenne en 2026 : cette date, pour le second du moins, pourrait être décalée vers la droite.
Accès à la haute mer avec l’aide de la Russie
L’enjeu n’est pas mince pour la Corée du Nord, dont la marine, jusqu’ici, était modeste, pensée depuis des décennies sur le modèle de la lutte asymétriques, limitée au littoral qui borde le régime ermite. Vedettes rapides et sous-marins miniatures étaient jusqu’à présent la marque de fabrique de cette flotte pensée pour la guérilla navale. Déplaçant 5000 tonnes, les destroyers Choe Hyun sont les premiers navires réellement hauturiers du régime communiste. Avec eux, s’ouvre la perspective de croiser en haute mer. Les technologies embarquées sont aussi particulièrement sophistiquées au regard des standards habituels nord-coréens. Le design général, qui n’est pas sans rappeler celui des grands navires de surface sud-coréens ou chinois, révèle un mât principal dont le radar à antenne active est la technologie la plus aboutie aujourd’hui. Les missiles sont accueillis dans des silos verticaux intégrés sous la superstructure du navire, ce qui est là encore une première du côté de Pyongyang. Il peut ainsi tirer 74 missiles, un chiffre élevé pour un navire de seulement 5000 tonnes, par exemple supérieur aux 64 silos de la principale classe de destroyers chinois, les Type 052D.
Mais un détail ne trompe pas : c’est du côté de la Russie qu’il faut chercher une éventuelle aide extérieure pour expliquer ce bond en amont (partiellement submergée, certes) de la marine nord-coréenne. Ainsi, le système anti-aérien de protection rapprochée est le Pantsir-M russe, un dispositif moderne qui inclut à la fois des missiles de courte portée et des canons à haute cadence. Les destroyers Choe Hyun, qui, d’après différents experts, pourraient éventuellement porter des missiles de croisière à charge nucléaire - à condition de savoir les miniaturiser -, sont le symbole de la lune de miel entre Pyongyang et Moscou, sur fond de guerre en Ukraine. Le régime nord-coréen a fourni à l’armée russe des millions d’obus, des centaines de canon et de lance-roquettes multiples, des dizaines de missiles balistiques, et même jusqu’à 10.000 soldats déployés durant l’automne et l’hiver sur le front de Koursk. La contrepartie russe se dessine dans ces progrès navals de Pyongyang. Il est difficile d’imaginer que la Corée du Nord aurait pu construire, seule, un tel navire.
De même, Kim Jong-un a récemment dévoilé la construction d’un sous-marin à propulsion nucléaire, qui pourrait emporter des missiles balistiques. Pour Pyongyang, ce serait le graal, lui permettant de sanctuariser sa dissuasion nucléaire en renforçant la crédibilité de sa capacité de seconde frappe. Faut-il y voir, là encore, la main de Moscou ? En regardant vers le Dniepr, le régime ermite se tourne en même temps vers la haute mer.