Prairial à Lyon, un récital autour du piano
Pour sa saison 2, dans ses nouveaux locaux, Prairial ouvre sa cuisine à la salle, à moins que ce ne soit l’inverse. Comme à Pleyel pour un récital de Chopin, le piano est au centre du dispositif, si bien que les convives peuvent assister au ballet offert par l’équipe de Gaëtan Gentil, brigade visible de la tête aux pieds. On découvre – et on admire – la précision des gestes, la virtuosité des dressages, les fleurs et les pousses déposées à la pince et l’ultime coup de torchon sur le rebord du disque de porcelaine juste avant l’envoi, le soin maniaque apporté à la propreté. On discerne, murmurées, les annonces de la salle et les consignes du chef. Un théâtre du chaud, de l’urgence, du goût, avec une acoustique sur mesure pour éviter les pollutions sonores.
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Auparavant, le restaurant se situait un peu plus au nord, rue Chavanne, sur cette presqu’île lyonnaise que la Saône et le Rhône protègent de leurs bras liquides. Le succès a contraint les patrons à s’agrandir. La solution est passée par une migration méridionale. On a dépassé la gare de Perrache et posé les valises au milieu de rien, dans un quartier tout neuf, édifié à côté de l’ancien marché de gros. Gaëtan Gentil et Céline Boinon ont acheté sur plan, ce qui leur a permis de créer, avec l’architecte d’intérieur Johany Sapet, un espace singulier au centre duquel trône le fourneau.
Le style Gentil est vif, tranchant, très porté sur le naturel, qui accourt au galop dans chaque assiette – ce qui devrait encourager le service à se délester d’un maniérisme inutile (« Seriez-vous tenté par une expérience fromagère ? », etc.), en décalage avec la recherche de l’authenticité de terroir. Le chef a renoncé aux poissons de mer pour mieux pêcher en eau douce des recettes locavores ; il manie avec précision les sauces, ce qui est déjà très bien, mais aussi les acidités, les amertumes, bref, tout ce qui rend le bon encore meilleur.
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Cela donne des compositions entraînantes, à l’instar de cette truite fumée, thym citron et mélisse. Autour de la bestiole à l’onctuosité remarquable, une poignée de microgirolles dansent la farandole. La sauce réunit tout cela, allègre, fouettée par la vivacité de la mélisse. Lui succède un cousin, le cristivomer (également connu sous le nom plus rigolo de touladi), une sorte d’omble. Le contraste entre les deux chairs saute au palais : celle-ci apparaît plus fondante, mais sa saveur est moins puissante que, tout à l’heure, celle de la truite. L’animal aquatique numéro deux est accompagné d’une alchimie, constituée de courge, de vinaigre de coing, d’huile de sapin et d’œufs de poisson. Une idée parfaitement aboutie, qui fait flotter l’esprit du conifère comme un filigrane montagnard.
On passe du lac à la rivière avec un sandre confit, qu’escortent céleri rôti – farci d’un champignon spongieux, dont nous avons oublié le nom – et sabayon à la noisette. La chair du carnassier est glorieuse, comme le serait celle d’un pavé de lotte. La partie végétale multiplie les sensations de mâche avec, notamment, le titillement pacifique du champignon mou. La sauce, enfin, ne sombre pas dans une caricature de praliné salé : nous sommes en présence d’un véritable sabayon, consistance ad hoc, saveur de noisette relevée d’une acidité qui délivre une niaque formidable.
Répertoires gourmands
On passe au manifeste végétal, avec une interprétation du cèpe confronté à un triptyque reine-des-prés, polypode et réglisse. Première surprise : c’est blanc comme une boule de neige. Deuxième surprise : c’est doux et suave comme un dessert. Il s’agit en fait d’une île flottante forestière, avec une intrication de saveurs d’une finesse extrême. Bravo ! La viande n’est pas interdite de Prairial. Témoin, ce cerf de chasse au barbecue, avec millefeuille de betteraves à l’huile de figuier et de myrtille. Un vrai plat de gibier, un brame de l’assiette délectable sur fond de sauce venaison, d’un rouge sombre façon scène de crime.
Au dessert, la confiture de lait glacée, parfumée à l’aspérule odorante légèrement vanillée, sertie de graines de courges torréfiées, joue la carte de la pure gourmandise, sous une gavotte, dont on peut affirmer qu’elle ne saurait être plus diaphane ni plus croustillante. Puis, une invention coing, noisette et cèpe, qui reprend dans un rôle différent des personnages déjà vus dans la pièce, vous entraîne dans un répertoire plus expérimental : intéressant.
Pour accompagner ce festin, Céline Boinon avait choisi une bouteille de champagne Concordance 100 % pinot noir de la maison Marie Courtin : une bulle vineuse et racée, impeccable. Comme une ondée rafraîchissante sur un parfait souper de Prairial.
Caractéristiques
Nom / Prairial
Lieu / 1, place Hubert-Mounier, 69002 Lyon. 04 87 78 32 51. Menus à 99 € (déjeuner) et à 129 €. Ouvert du mardi au samedi.
Date de création / 23 novembre 2023
Parcours / Gaëtan Gentil est originaire du Mans. À 39 ans, il a bourlingué dans pas mal de belles maisons – Flocons de Sel (Megève), Le Chabichou et Cheval Blanc (Courchevel), le Crillon (époque Jean-François Piège)… Sa compagne Céline Boinon, 34 ans, se rêvait océanographe étant enfant, mais le démon de la restauration s’est vite emparé d’elle. Elle a appris sur le tard à aimer le vin et s’occupe à présent d’une cave riche de quelque 900 références, qui font la part belle à la biodynamie et aux cuvées « nature ».
Les deux se sont rencontrés à Mougins pour ne plus se quitter. En 2015, ils ouvrent à Lyon le premier Prairial, ainsi baptisé du nom du neuvième mois du calendrier révolutionnaire – approximativement de la mi-mai à la mi-juin–, mais aussi parce que Gaëtan avait effectué son premier stage en cuisine dans un établissement à l’enseigne de Floréal, le huitième mois des sans-culottes. Immédiatement repérée par la critique et par une clientèle de connaisseurs, la nouvelle table de la presqu’île s’avère vite sous-dimensionnée. Le couple se met en quête d’un lieu adapté à ses ambitions, et s’installe, il y a un an, plus au sud, dans le IIe arrondissement, par-delà la gare de Lyon-Perrache, côté Rhône.