Non, cette vidéo ne montre pas une otage israélienne retenue par le Hamas à Gaza
La vérification en bref
- Depuis le 8 janvier, des comptes partagent deux images censées présenter, selon eux, la même personne, qui serait "otage du Hamas". La première image la montrerait en captivité, tandis que la seconde aurait été filmée avant son enlèvement. On l’y verrait en train de danser et se moquant du "massacre des Palestiniens".
- La première image vient d’une vidéo qui semble avoir été publiée par le Hamas. La jeune femme apparaissant à l’image est bien retenue en otage par le groupe depuis le 7 octobre. Elle se nomme Liri Albag, et effectuait son service militaire obligatoire dans une base proche de la bande de Gaza lorsqu’elle a été capturée.
- En revanche, la deuxième image provient d’une vidéo publiée sur TikTok le 14 décembre, bien après l’enlèvement de la jeune femme. On y voit plusieurs jeunes soldates danser : aucune n’est Liri Albag.
- Cette dernière possédait bien un compte TikTok, aujourd’hui inaccessible. La jeune femme s’y filmait notamment en uniforme, quelques jours avant son enlèvement. Aucune de ses vidéos ne semblait se moquer particulièrement des Palestiniens.
Le détail de la vérification
Depuis le 8 janvier, des comptes très suivis, sur lesquels l'opération israélienne dans la bande de Gaza est régulièrement commentée, partagent les deux images ci-dessous. Ils affirment qu’il s’agit de la même personne, actuellement "prisonnière du Hamas". Selon eux, l’image de gauche la montrerait en train de danser en tenue kaki de façon insouciante, dans une vidéo TikTok, avant le 7 octobre. Celle de droite la montrerait en captivité, l’air hagard, habillée d’un sweat bleu.
La publication ci-dessous montre l’image de gauche en plan large : on y voit cette personne en train de danser avec d’autres militaires, dans un paysage désertique.

Plusieurs publications se moquent de cette personne, tournant en dérision sa situation.

Certaines vont même jusqu’à affirmer qu’elle "dansait sur le massacre des Palestiniens".

Mais il s’agit en réalité de deux femmes israéliennes différentes : si celle avec le sweat bleu est bien retenue en otage par le Hamas depuis le 7 octobre, l’autre, habillée en kaki, n’a pas du tout été enlevée et n’a rien à voir avec la première.
Une otage bien réelle…
D’abord, d’où provient cette image montrant une jeune femme à lunettes en sweat bleu ? Certaines publications prétendent qu’il s’agit de Liri Albag.

Lorsqu’on recherche ce nom sur Google, on découvre que cette jeune femme est bien comptabilisée parmi les personnes enlevées par le Hamas lors de l’attaque du 7 octobre.
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Elle dispose d’une fiche à son nom sur le site “Bring them home now”, une initiative qui rassemble les familles des victimes du 7 octobre.
Selon la presse israélienne, Liri Albag a été capturée par des hommes du Hamas dans la base militaire de Nahal Oz, bordant la bande de Gaza. Âgée de 18 ans, elle y effectuait son service militaire à un poste de surveillance.
Le 7 janvier, le tabloïd anglais Daily Mail a publié un article donnant la parole aux familles de quatre jeunes filles otages, dont celle de Liri Albag. Des captures d’écran d’une vidéo illustrent l’article : on y voit les quatre jeunes filles, dont l’une est bien Liri Albag. La capture qui illustre son histoire est l’image au pull bleu relayée par les comptes qui l’accusent d’avoir dansé en uniforme dans le désert.

Ces captures d’écran proviennent d’une vidéo que notre rédaction a choisi de ne pas diffuser, et dont nous n’avons pas pu vérifier l’origine. Elle comporte le logo de l’organe de communication de la branche armée du Hamas, mais celui-ci a un format inhabituel par rapport aux autres publications du groupe. Par ailleurs, elle n'apparaît pas sur ses canaux officiels. Nous n’avons pas pu vérifier la date précise de tournage de la vidéo ni la façon dont celle-ci avait été diffusée.

Selon un porte-parole des familles d’otages, cette vidéo "est parvenue à la famille, qui a décidé de la partager avec les médias internationaux". Une version déjà donnée au "Daily Mail", qui ne permet pas d’en savoir plus sur la date à laquelle cette vidéo a été diffusée pour la première fois.
… mais une vidéo de danse TikTok sans rapport avec cette otage
En revanche, l’origine de la vidéo TikTok montrant des soldates en train de danser est bien plus claire. Une recherche d’image inversée avec l’outil InVID (voir ici comment procéder) permet de retrouver le compte qui l’a publiée en premier, le 14 décembre 2023, soit bien après la capture de Liri Albag, le 7 octobre.

Ce compte, nommé "Netter is better", semble appartenir à une unité de jeunes conscrites israéliennes. La plupart des vidéos les montrent en train de danser, chanter ou réaliser des tâches quotidiennes dans des infrastructures militaires.
Grâce à la description du compte, on apprend qu’elles sont basées à Shivta, une ville située au sud du territoire israélien, dans le désert du Néguev. On y trouve un important camp militaire.

Ce camp est très loin de la bande de Gaza, à près de 50 kilomètres : les articles qui détaillent le parcours militaire de Liri Albag ne mentionnent pas un passage par ce lieu éloigné de sa zone d’affectation.
Par ailleurs, la personne qui paraît ressembler à Liri Albag dans la vidéo de danse apparaît dans une autre vidéo sur ce compte. Elle y porte un béret bleu sur l’épaule, et l’insigne d’un bataillon sur son haut.

Il renvoie à une unité d’instructeurs, dans laquelle les jeunes conscrits israéliens ont la possibilité de faire leur service militaire. Sur la page dédiée du site de l'armée israélienne (aujourd’hui bloquée, mais dont une version antérieure est consultable ici), on apprend que cette unité est bien basée à Shivta.
La vidéo TikTok de danse dans le désert montre donc une militaire intégrée dans une unité d’instructeurs de l’armée israélienne, peut-être dans le cadre de son service militaire. Cette unité est basée à Shivta, dans le sud du pays, loin de la bande de Gaza. Le parcours de cette militaire, en apparence, n’a rien à voir avec celui de Liri Albag qui, selon plusieurs articles, a été affectée à la base militaire de Nahal Oz dès le début de son service militaire.
Contactées par la rédaction des Observateurs, l’armée israélienne et la famille de Liri Albag ont confirmé que la jeune otage n’était pas visible dans la vidéo TikTok de danse dans le désert.
Un compte TikTok au nom de Liri Albag existe bien
Cependant, lorsqu’on recherche le nom de Liri Albag sur TikTok, il est possible de retrouver un compte à ce nom. Aujourd’hui privé : ses vidéos ne sont plus consultables. La rédaction des Observateurs a pu les visionner avant ce changement : dans plusieurs d’entre elles, la jeune femme apparaît en uniforme de l’armée israélienne.

La dernière vidéo visible a été publiée quelques jours avant l’attaque du 7 octobre et l’enlèvement de la jeune femme. Dans ces courts contenus, souvent musicaux, Liri Albag documente son quotidien de conscrite, décrit ses retrouvailles avec ses proches, ou raconte l’histoire de son petit ami, blessé dans le cadre de ses activités militaires. Contrairement à ce que plusieurs publications affirment, elle ne semblait pas particulièrement s’y "moquer des Palestiniens".

La diffusion de vidéos humoristiques ou musicales depuis les bases militaires, voire parfois en opérations, est extrêmement répandue chez les jeunes israéliens, pour lesquels le service militaire est toujours une obligation. Depuis le début de l’intervention militaire à Gaza, certains comptes de soldats israéliens ont été accusés de participer à la déshumanisation des victimes civiles palestiniennes.
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