ENTRETIEN. Plus de décès que de naissances : "C'est un phénomène qu'on observe partout en Europe, la France était une exception"

Le "réarmement démographique" voulu par Emmanuel Macron n'y a rien fait. Du moins, il attendra. Pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l'Insee a enregistré plus de décès que de naissances en France sur une période de douze mois consécutifs, souligne l'économiste François Geerolf sur X. Entre le 1er juin 2024 et le 31 mai 2025, on décompte ainsi 651 000 décès et 650 000 naissances. Le solde naturel, c'est-à-dire la différence entre le nombre de naissances et celui des décès, est donc de -1 000.

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Le résultat d'une tendance à l'œuvre depuis plusieurs années, avec une baisse constante de la natalité, mais dont l'inversion était anticipée par l'Insee en 2027. Fermetures d'écoles, concurrence des générations, pénuries de main-d'œuvre... Pour comprendre les enjeux à moyen et long terme de ce changement démographique, franceinfo a interrogé Didier Breton, chercheur associé à l'Institut national d'études démographiques (Ined).

Franceinfo : Comment expliquer que le solde naturel soit devenu négatif en France ?

Didier Breton : D'abord, il y a une tendance à la baisse du solde naturel en France depuis 2007, alors que le nombre de naissances diminue d'années en année. Face à ce constat, il n'y a pas eu le rebond de natalité attendu. La période ne semble pas favorable à un projet de parentalité ou d'agrandissement de la famille, pour des raisons économiques ou des incertitudes sur le futur.

Le nombre d'enfants moyen par femme décroît alors que les couples vont décider de faire des enfants plus tard que dans les générations précédentes. En vingt ans, la part des adultes ne souhaitant pas avoir d'enfants a aussi augmenté. Une étude de Milan Bouchet-Valat et Laurent Toulemon parue en juillet (PDF) indique que 20% des 25-29 ans hésitent à devenir parents. Le modèle familial avec plusieurs enfants est de plus en érosion.

De l'autre côté, on observe une augmentation du nombre de décès chaque année. C'est que la population en "âge de mourir" (au-dessus de 85 ans) est de plus en plus nombreuse : de 1945 à 1973, il y a eu énormément de naissances durant "le baby-boom" d'après-guerre. L'hiver dernier, par exemple, la France a connu une vague de mortalité en raison d'un épisode violent d'épidémie de grippe.

"C'est un phénomène qu'on observe partout en Europe et qui est amené à se poursuivre dans les années à venir. La France et son solde naturel positif étaient jusqu'alors une exception dans le continent."

Didier Breton, démographe à l'Ined

à franceinfo

Si cet indicateur est traditionnellement calculé entre chaque année civile, les six premiers mois de 2025 ne donnent pas l'impression que la tendance va s'inverser cette année.

Quand cette baisse de la natalité aura-t-elle le plus d'effets pour notre société ?

La baisse de naissances qu'on observe depuis 2007 n'aura ses premiers effets qu'en 2027 ou 2030, lorsque ces enfants nés atteindront l'âge adulte. Et le solde négatif qu'on observe aujourd'hui, et qui va continuer à baisser, n'aura ses premiers effets importants que dans 15-20 ans. C'est un effet domino, ce que l'on appelle l'inertie démographique : une population qui n'est pas encore née aujourd'hui va affecter les sociétés et l'économie durant les 90 ou 100 ans qui suivent.

A quelles conséquences concrètes peut-on s'attendre ?

Il y aura d'abord des conséquences économiques. Si nous n'avons pas recours à l'immigration, la population va diminuer en même temps que la taille du marché français et le nombre de consommateurs disponibles. Le premier secteur touché à court terme sera celui de la petite enfance : les assistantes maternelles, les entreprises vendant des produits pour bébé et des couches...

Autre conséquence, il va y avoir moins d'enfants dans les écoles et maternelles. Dans les milieux ruraux, cela peut se traduire par la fermeture de classes d'écoles, réduisant les places disponibles. En termes d'attractivité, c'est une catastrophe pour un maire de petite commune qui souhaite garder la population et les parents sur son territoire. Cette baisse ne va en effet pas affecter les territoires de la même manière.

"Dans les grandes villes, 2 000 enfants en moins auront moins d'impact que 20 enfants en moins dans une terre rurale. Certains territoires connaissent déjà des difficultés."

Didier Breton, démographe à l'Ined

à franceinfo

Enfin, à plus long terme, moins d'enfants, c'est moins de personnes sur le marché de l'emploi dans 20 ans, c'est moins de cotisants pour des retraites, des pénuries de main-d'œuvre...

S'il y a plus d'anciens que de jeunes, comment va-t-on pouvoir prendre en charge les plus âgés ?

Il y a donc une vague en cours de baby-boomers qui arrivent à l'âge de la dépendance. A partir de 2030, il y aura de moins en moins de gens formés aux métiers du soin. Et puis, les futurs jeunes feront-ils le choix de devenir médecins ? Si on ne fait rien, il y aura là de vraies conséquences, qui auront des coûts économiques importants.

Avec cette dépendance, on va aussi par exemple observer une concurrence entre générations. Que ce soit pour les places à l'hôpital ou pour les rendez-vous chez les médecins. Ou pour les grandes élections.

"Où va se décider l'avenir du pays ? Par le haut ou pas le bas de la pyramide des âges ?"

Didier Breton, démographe à l'Ined

à franceinfo

Ce problème peut emporter tout notre modèle de cohésion sociale, c'est-à-dire le climat qui existe entre différentes catégories de population, en particulier entre les âges.

Emmanuel Macron a évoqué un "réarmement démographique". Est-ce une façon de s'adapter à cette bascule ?

On peut et on doit s'adapter. Les politiques vont en avoir l'obligation dans les années à venir et ne pourront pas faire comme si cela n'existait pas. Tout est une question du modèle de société que l'on souhaite mettre en place.

"Ce qui est sûr, c'est que malgré les politiques natalistes, on ne peut pas forcer les gens qui n'ont pas envie d'être parents, sachant qu'avoir un enfant coûte du temps et de l'argent, et que l'on sait que la part des gens qui vont choisir de ne pas en avoir va augmenter."

Didier Breton, démographe à l'Ined

à franceinfo

Il y a deux grands modèles de réponse choisis par les pays dans lesquels le solde naturel est négatif depuis plusieurs années. Le premier est celui de l'Allemagne et de l'Espagne. Les deux pays ont fait appel à l'immigration pour préserver leur économie et subvenir aux besoins des métiers en tension.

Mais pour cela, il faut être attractif. Ce sera un enjeu dans le futur : les pays d'Afrique et d'Asie connaîtront, eux aussi, une baisse de natalité dans les années à venir, ce qui va faire aussi baisser "l'offre migratoire". Dans un contexte de pénurie, ce sont les migrants qui auront le choix du pays.

Un autre modèle a été choisi par le Japon, où la natalité diminue depuis 30 ans. Plutôt que de recourir à l'immigration, la nation a décidé d'augmenter la productivité par l'automatisation des tâches et la robotisation, pour combler le besoin de main-d'œuvre. Chaque stratégie est un choix de société.