«Sitôt réélue à la tête de la Commission européenne, Ursula von der Leyen piétine la souveraineté des États»

Bruno Alomar, ancien haut fonctionnaire à la Commission européenne, a travaillé au cabinet de la Commissaire à l'énergie, aux transports et aux relations avec le Parlement, Mme Loyola de Palacio.


Alors que la France est empêtrée dans ses difficultés politiques, certains placent leurs espoirs dans l'Union européenne (UE). L'UE vient en effet de se doter d'un nouveau Parlement. Plus important encore, la Commission, cœur du réacteur européen, dotée seule de pouvoirs fédéraux dans le domaine du commerce, de la concurrence et du marché intérieur, bénéficiant du monopole de l'initiative législative, est en voie de constitution.

Certains signaux alimentent cet espoir. La présidente de la Commission, Ursula von der Leyen, après avoir été un choix par défaut des États membres en 2019, confirmé par seulement neuf voix de majorité au Parlement, a été reconduite par les mêmes États membres il y a quelques semaines sans véritable débat. Le Parlement a confirmé sa nomination par 41 voix de majorité.

Bien sûr, Ursula von der Leyen, même si elle l'a oublié en instaurant une gouvernance verticale à nulle autre pareille dans l'histoire de la Commission, n'est pas la Commission à elle toute seule. La Commission est, notion difficile à comprendre dans la France de la Ve République, un collège. Les commissaires doivent avoir leur mot à dire. Il reste qu'en tant que présidente, Ursula von der Leyen a évidemment un rôle central. Dans ce cadre, plusieurs sujets doivent inquiéter.

D'abord, la question de la parité à la Commission. Elle taraude Ursula von der Leyen. Elle pourrait être rassurée si elle se souvenait que la Commission n'est pas l'UE à elle seule et que sur les quatre principales institutions européennes, trois sont dirigées par des femmes (outre elle-même, Roberta Metsaola est présidente du Parlement, Christine Lagarde est présidente de la BCE et le Conseil sera présidé par Antonio Costa). Qu'importe : elle ne déguise pas ses critiques à l'égard des États membres qui l'ont faite reine par deux fois.

Si la Commission peut se doter de compétences alors qu'elle n'a pas la « compétence de sa compétence » mais des prérogatives précisément délimitées par les États membres, pourquoi demain ne régenterait-elle pas la police? La justice ? Le droit pénal ? La fiscalité ?

Bruno Alomar

L'on pourrait ici débattre de la question de savoir si la Commission doit être paritaire, voire représentative, dans la mesure où elle n'est précisément pas élue mais désignée par des États dont les institutions procèdent, eux, de l'élection au suffrage universel et sont donc, eux, représentatifs par nature, alors que la Commission est technocratique par nature. Et au fond, les citoyens européens auraient grand tort de s'offusquer, si cela advenait d'une Commission exclusivement féminine : la compétence n'a pas de sexe.

L'important est ailleurs. Il est dans le fait qu’Ursula von der Leyen ne semble toujours pas avoir compris que la Commission, pas plus que l'UE, n'est pas la maîtresse des États mais un outil dont les États se sont librement dotés et dont ils ont, au nom de leurs peuples, la maîtrise. La Commission, ces mots si chers aux Français qui avaient bâti l'Europe avant d'y perdre leur influence, est un «service public», placé sous l'autorité démocratique des États et, dans une moindre mesure, du Parlement européen qui peut la censurer.

Il est un autre signe, plus inquiétant, du décalage d’Ursula von der Leyen par rapport au réel, pas tant démocratique mais juridique cette fois : l'ignorance des traités. Un exemple ? Ursula von der Leyen envisage de nommer un commissaire chargé des questions de logement. L'idée que l'UE puisse mettre son grain de sel dans des politiques de logement notoirement complexes a déjà de quoi faire frémir. Mais l'important est ailleurs. Car Ursula von der Leyen l'ignore peut-être, mais le terme «logement» ne figure pas dans les deux traités qui fondent l'UE. Et l'on est plus que porté, face à son désir ardent d'investir le domaine du logement, à se poser une simple question : mais de quel droit ?

Car si la Commission peut se doter de compétences alors qu'elle n'a pas la «compétence de sa compétence» mais des prérogatives précisément délimitées par les États membres, pourquoi demain ne régenterait-elle pas la police ? La justice ? Le droit pénal ? La fiscalité ? Etc. L'UE et la Commission n'ont à la bouche que les «valeurs démocratiques». C'est respectable, et même souvent nécessaire. Mais la première des «valeurs démocratiques» n'est-elle pas le respect scrupuleux des traités librement adoptés par les gouvernements et les parlements élus ? À quoi sert de vilipender les États «illibéraux» qui ne respecteraient pas l'«État de droit» si c'est pour faire de même au niveau européen ?

Certes, les connaisseurs de l'UE savent que les institutions européennes -notoirement la Cour de Justice dans les années 1970 - prennent souvent des libertés par rapport aux traités pour accroître les pouvoirs de l'Europe. Ursula von der Leyen, au cours de son mandat, bien que les compétences de politique étrangère soient réservées pour l'essentiel au Conseil, a mené sans mandat une croisade en faveur de l'Ukraine qui a été jusqu'à irriter les États européens les plus favorables à Kiev. Son jusqu'au-boutisme en la matière a été tel qu'il a menacé sa reconduction.

C'est dire, en définitive, qu'il est urgent de revenir à plus de mesure. Car ce n'est pas comme si la Commission qui arrive n'avait pas à mieux exercer les compétences importantes qu'elle a déjà pour répondre aux défis du moment. C'est l'intérêt des Européens.