« Ils menacent, frappent, violent et tuent des enfants » : en Haïti, Amnesty dénonce les violences commises à l’égard des enfants
Une fille de 17 ans qui vivait dans le quartier de Carrefour Feuilles, en banlieue de Port-au-Prince, sort, un soir de décembre 2023, acheter de la nourriture. Elle est enlevée par des membres d’un gang. Vêtus de noir et visages dissimulés, ils la conduisent dans une maison. Là-bas, cinq d’entre eux la violent à tour de rôle. « Ils m’ont dit : ” Tu ne parleras pas de ça. Si tu en parles, on te tuera. ” Puis ils m’ont dit de partir », a-t-elle témoigné. Elle apprendra plus tard être enceinte. « Cela m’a détruite… Je n’ai personne pour m’aider avec le bébé. »
Ce témoignage révoltant est issu d’un rapport de l’ONG de défense des droits humains Amnesty International, publié ce mercredi 12 février. Intitulé « Je ne suis qu’une enfant, pourquoi cela m’est-il arrivé ? ». Haïti : l’offensive des gangs contre l’enfance, le document dénonce le « recrutement, (les) attaques et (les) violences sexuelles ».
L’étude s’appuie sur des recherches effectuées entre mai et octobre 2024. Des entretiens ont notamment été menés dans la capitale d’Haïti Port-au-Prince et alentour, auprès de 51 enfants âgés de dix à 17 ans et de 15 parents. « La vie de bien trop nombreux enfants est détruite en Haïti et ces enfants n’ont personne vers qui se tourner pour obtenir protection ou justice », s’insurge Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Forcés de travailler pour des gangs par « la faim ou la peur »
D’après les estimations d’Amnesty International, plus d’un million d’enfants vivent dans des zones contrôlées par des gangs armés ou soumis à leur influence en Haïti. Et le rapport identifie les différentes violences et les répertorie en trois catégories. Celles-ci sont en majeure partie le fait des gangs, et classées comme des « atteintes aux droits humains ». Il s’agit ainsi du recrutement et l’utilisation d’enfants, des violences sexuelles et enfin des homicides et blessures.
Ainsi, l’organisation a notamment recueilli des informations sur 14 enfants haïtiens recrutés par des gangs pour espionner les groupes rivaux et la police, faire des livraisons, effectuer des tâches ménagères ou des travaux : une implication forcée motivée par « la faim ou la peur ».
Des enlèvements, viols et agressions sexuelles ont également été infligés à des filles lors d’attaques sur des quartiers ou après avoir pris le contrôle de certains secteurs. Sur les 18 filles victimes de violences sexuelles interrogées par Amnesty, dix ont été soumises à des viols en réunion et neuf ont été enlevées. Plusieurs d’entre elles sont tombées enceintes et ont recouru à des méthodes non sécurisées pour mettre fin à leur grossesse, l’avortement étant illégal en Haïti.
« Il n’y a pas de police… Les seuls chefs en ville sont les membres de gangs »
« Avant, j’allais à l’école, mais depuis ce qui est arrivé, j’ai arrêté », a déclaré à l’ONG une jeune fille de 14 ans victime d’un viol par un membre de gang. Des « relations (sexuelles) forcées et (de) l’exploitation à des fins de commerce du sexe » ont également été répertoriées par l’organisation. Des enfants continuent par ailleurs d’être blessés et tués lors des incursions des gangs dans certains quartiers.
À ce sujet l’ONG explique que « les filles qui sont victimes de violences sexuelles aux mains de membres de gangs ont besoin de soins de santé spécialisés, pour contribuer à leur rétablissement physique et psychologique ». Mais Amnesty déplore que « les services de santé limités en Haïti ont été affaiblis par les attaques de gangs ».
Un accès à la justice d’autant plus compliqué que l’association relève « l’absence de personnel d’application des lois dans les zones contrôlées par les gangs ». Le témoignage d’une fille qui a été enlevée et violée en réunion par des membres d’un gang en 2023, puis agressée sexuellement par un membre d’un gang en 2024 est frappant. « Il n’y a pas de police… Les seuls chefs en ville sont les membres de gangs », a-t-elle déclaré.
De ce fait, l’organisation recommande, entre autres, la mise en place d’une feuille de route pour la protection de l’enfance, le rétablissement de l’accès à l’éducation, la réintégration des enfants recrutés par des gangs ou encore la protection des victimes de violences sexuelles.
« Ils menacent, frappent, violent et tuent des enfants »
Ces enfants « sont pourchassés et parfois tués par des groupes d’autodéfense, et placés arbitrairement en détention par les autorités. Leur enfance leur est volée », indique Agnès Callamard, en demandant une « aide de toute urgence pour protéger les enfants et prévenir de nouveaux cycles de violence ».
Il s’agit d’un phénomène qui a « provoqué une détresse généralisée en Haïti, déplore-t-elle. Ils menacent, frappent, violent et tuent des enfants. Ils se sont rendus responsables de nombreuses atteintes aux droits humains des enfants, notamment à leurs droits à la vie et à l’éducation et à leur droit de circuler librement ».
Et cette violence vise l’ensemble de la population. Au total, au moins 5 601 personnes ont été tuées l’an dernier en Haïti par la violence des gangs, qui contrôlent environ 85 % de la capitale, selon les Nations unies. La violence ne semble pas faiblir depuis le déploiement, depuis juin, d’une Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dépendante de l’ONU. Depuis des dizaines d’années, Haïti pâtit d’une instabilité politique chronique et d’une crise sécuritaire liée à la présence de gangs armés accusés de meurtres, d’enlèvements et de violences sexuelles à large échelle.
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