REPORTAGE. "L’aide a été lamentable"... Rentrés chez eux, les sinistrés des incendies en Espagne expriment leur colère contre les autorités
Le dernier centre d'accueil de Ponferrada a fermé. Cette ville de la communauté autonome de Castille-et-Léon a accueilli plus d'une centaine de personnes pendant deux semaines, essentiellement venant des villages des montagnes voisines, où les feux ont été les plus intenses. Seul le village de Peñalba de Santiago est encore menacé par les flammes. Les autres habitants ont pu regagner leurs maisons.
De larges parties de la montagne sont désormais noircies. Quelques poches de forêt ont résisté ici et là mais autour du village de Bouzas, tout a brûlé, sauf les maisons. Dans les rues très calmes, on aperçoit encore des drapeaux colorés suspendus. "Vendredi, c’étaient les fêtes patronales ici", explique Belarmino, l'un des rares habitants permanents de ce village isolé. Il est encore très marqué par l'incendie. "Le feu est descendu de la montagne. Des gens sont arrivés et nous ont dit : ‘on ne peut rien faire, c’est hors de contrôle’. Alors ma famille est venue. On est allé récupérer le bétail, parce que je suis éleveur, le seul ici. On a pris toutes les bêtes qu’on pouvait et on est descendus. Le feu avançait très vite".
Une lutte épique
Les autorités lui demandent ensuite de ne pas remonter mais il craint pour Bouzas. "Quelqu’un du village est monté à moto. Il m’a dit qu’il n’y avait plus personne ici pour lutter et que le village risquait de prendre feu. On était cinq ou six. On a pris la voiture, on est passé par des chemins coupe-feu", raconte Belarmino.
"On s’est battu, on était très peu. On a vraiment souffert, le feu venait de tous les fronts."
Belarmino, éleveur à Bouzasà franceinfo
"J’ai fini par dire à mon frère : ‘il faut qu’on parte’, poursuit Belarmino. On a laissé tomber. Je ne sais pas si les pompiers sont revenus mais ça s’est calmé et tout n’a pas été détruit".
En revenant, il retrouve sa maison intacte mais pas son élevage. "On a trouvé des veaux brûlés et il me manque encore des vaches. J’ai 57 ans. À mon âge, il est impossible d’accepter que les 3 600 hectares que j’avais, aient disparu. Je suis un prisonnier, je n’ai rien d’autre pour vivre. Le bétail ne peut plus brouter et je dois les nourrir." L'éleveur en veut au gouvernement régional. "L’administration n’a pas bien géré le problème. D’abord les feux : ceux d’en haut, sur la montagne, étaient contrôlables. On avait un bulldozer, il y avait des patrouilles. Mais l’aide qui est venue de l’extérieur a été lamentable", juge-t-il. Dans le village, quelques vacanciers sont venus récupérer leurs affaires. Ils ne souhaitent pas s'exprimer.
"On a découvert quelque chose de beau entre les gens"
San Cristobal, une commune touristique située à 15 minutes de Bouzas, a aussi été sauvée du feu. À l'intérieur du café qu'elle tient, Pilar a inscrit à la craie une phrase sur un tableau noir : "Que le feu s’éteigne mais ne perdons jamais l'étincelle de la vie", "autrement dit, explique-t-elle, il ne faut pas sombrer pour quelque chose qui peut se résoudre". Pilar est rentrée mardi après quatre jours passés dans un gymnase. Elle est très heureuse que le village soit sauvé. "Je me sens privilégiée, chanceuse. C’est vrai que c’est bizarre la sensation du paysage que l’on voit encore brûler. Mais il va se régénérer. Tout le village s’est rassemblé. On a organisé une sorte de vie commune dans le gymnase et on a découvert quelque chose de beau entre les gens, il y a eu de la solidarité." Mais, elle aussi, estime qu'il n'y a pas eu assez de moyens pour lutter contre les incendies. "L’aide est arrivée en retard. C’est incroyable qu’après 14 jours, un village soit encore en danger. C’est invivable".
"Peñalba de Santiago est le seul village ici à être encore évacué. Là-bas, ce sont les habitants eux-mêmes qui essaient d’éteindre le feu."
Pilar, propriétaire d’un café à San Cristobalà franceinfo
La justice a ouvert une enquête pour déterminer si les communes ont bien engagé leur plan de prévention.
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Peñalba de Santiago est une commune classée site historique, nichée au cœur de la montagne. La route qui y mène est tortueuse et le paysage, dévasté. Des sommets jusqu'au fond de la vallée, tout est noir. Quelques arbres calcinés sont encore debout par endroits, seule la route a été préservée. Puis, soudain, on aperçoit de la fumée, le feu continue de progresser en face de Peñalba, encore intacte.
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Dans les rues désertes, le seul bruit qu'on entend, c'est l'eau qui s'écoule par terre. Des lances à eau jonchent le sol. Un groupe d'une dizaine d'hommes, un pompier et des civils volontaires, se relaient pour préserver les maisons aux balcons en bois ornementé. Impossible d'échanger avec eux, des policiers nous demandent de partir. On prend donc la route en sens inverse pour redescendre dans la vallée, avec cette odeur de brûlé qui reste longtemps après.