Grève des enseignants dans les écoles primaires et maternelles : «De quelle évaluation des élèves parle-t-on ?»

Lisa Kamen-Hirsig est enseignante, chroniqueuse et essayiste. Elle a publié La grande garderie (Albin Michel, 2023).


À quelques jours de la rentrée scolaire, les syndicats FSU-SNUipp, CGT éducation, et Sud éducation appellent les enseignants des écoles primaires et maternelles à faire grève mardi 10 septembre. Au cœur des revendications : les évaluations des élèves qui doivent être généralisées du CP au CM2.

Ils arguent qu'elles empiètent sur la liberté pédagogique des professeurs - liberté qui ne s'accompagne malheureusement pas de responsabilité en l'occurrence - et qu'elles occasionnent un surcroît de travail. De fait ces évaluations sont complexes à corriger, leurs résultats doivent être saisis dans un délai relativement court et surtout dans des logiciels-usines à gaz, tâche chronophage et inutile, nous verrons pourquoi. Elles occupent en gros une semaine de classe, sur une année qui n'en compte que 36.

Ces arguments seraient caducs si élèves et professeurs y trouvaient véritablement un bénéfice pour organiser la suite de l'année scolaire. Or ce n'est évidemment pas le cas, et ce pour de multiples raisons qui tiennent autant à l’hypercentralisation étatique qu'à l'idéologie qui sous-tend ces évaluations. Elles sont d'abord faites pour s'attribuer des autosatisfecit et contredire les résultats lamentables obtenus par les élèves français aux tests internationaux tels que les études Pisa ou TIMSS. Ici l'État ne casse pas le thermomètre, il en change. Prenons quelques exemples extraits des tests soumis à la sagacité des élèves de CM1 en 2023.

En conjugaison, voici un extrait : «Trouve le sujet de chaque phrase : “…prendrez vos manteaux”». L'élève a le choix entre je, vous, nous et ils. Puis : «trouve le verbe correctement conjugué dans la phrase “Nous … au ballon dans le jardin”». Les élèves ont le choix entre jouent, jouons, jouez, joues. En mathématiques, voici un exemple de problème : «Pour son anniversaire, Enzo reçoit 150de sa grand-mère et 50 de son oncle. Combien d'argent Enzo a-t-il reçu au total ?». Enfin, pour le test de vocabulaire : «Tous les mots font partie de la famille du mot “couleur”, sauf un. Coche l'intrus parmi les mots couloir, colorier, multicolore, coloriage».

Des évaluations nationales, faites au bon moment et dans un objectif de transparence seraient d'une grande utilité.

Lisa Kamen-Hirsig

Voilà les «compétences» qu'on attend d'un enfant après trois ans d'école maternelle (puisqu'elle est obligatoire depuis la réforme Blanquer) et trois ans d'école primaire ! Et si encore les résultats étaient rassurants… Mais on peut lire sur le site de l'Éducation nationale : «résultats comparables à ceux de l'année précédente à l'exception d'une baisse en français». Le pire étant toujours sûr avec l'État, nul doute que les épreuves de cette année seront «adaptées».

À lui seul, le test de fluence, qui consiste à faire lire un texte le plus rapidement possible, mériterait que l'on y consacrât une étude : il laisse croire à des élèves qu'ils savent lire parce qu'ils lisent rapidement, parfois sans rien comprendre. Les parents, rassurés transitoirement, s'aperçoivent des années plus tard, que leurs enfants ne comprennent pas un récit simple ou un article du journal.

Quand elles ne sont pas utilisées pour se pousser du col, ces évaluations sont instrumentalisées pour justifier l'éternelle lutte contre les inégalités. Le site de l'Éducation nationale mentionne les «meilleurs résultats des filles en français et des garçons en maths » pour les tests de l'année dernière. J'imagine le désarroi des fonctionnaires de la rue de Grenelle et des référents académiques égalité filles-garçons : après tant d'années consacrées à égaliser les résultats, cet échec cuisant donnera sans doute lieu à de nouvelles réformes afin que les filles, enfin, se montrent, elles aussi, passionnées par les maths même si c'est à cœur défendant. Vite un plan interministériel !

Le ministère explique en effet sur son site que ces évaluations ont pour but «d'ajuster les politiques éducatives». Preuve s'il en fallait qu'il navigue à vue. Devant le naufrage, il gesticule, change les programmes à peu près chaque année, met en place de nouvelles évaluations, impose ses lubies aux établissements (des écrans partout puis plus du tout d'écrans, des uniformes obligatoires puis une «expérimentation» dans quelques écoles, des cours d'empathie, des éco-délégués…) pour le résultat que l'on sait : la moitié des élèves de quatrième ne savent pas lire correctement. Tout cela manque de cohérence et d'honnêteté. Pourtant, des évaluations nationales, faites au bon moment et dans un objectif de transparence seraient d'une grande utilité.

Il est cocasse d'entendre les syndicats appeler à défiler contre un avatar de plus de l'égalitarisme d'État, qu'ils appellent de leurs vœux en permanence.

Lisa Kamen-Hirsig

Imaginons un instant un service se contentant de fixer des objectifs aux enseignants, les laissant libres des moyens et méthodes pour les atteindre. Les connaissances à acquérir au cours d'une année scolaire seraient déterminées et testées à chaque fin d'année, non au début. Ces tests conditionneraient le passage dans la classe supérieure, puis au collège par un certificat d'études modernes. Les connaissances à acquérir ne seraient pas modifiées au gré des ministres mais le moins souvent possible et toujours en concertation avec les représentants des chefs d'établissements et des parents d'élèves.

Imaginons encore qu'on cesse de se voiler la face et de mentir sur le niveau réel des élèves, alors même que tous les classements internationaux montrent une baisse très sensible du niveau en français mais aussi en mathématiques, que l'on rétablisse des filières et que l'on mette en place d'une véritable formation duale, professionnelle, qualifiante, dont les bénéficiaires seraient fiers et non pas honteux. Les évaluations seraient alors faites pour permettre une orientation des élèves vers des études ou des formations qui leur conviennent et non pour satisfaire des objectifs quantitatifs tels que l'obtention du baccalauréat par 80 ou 90% d'une classe d'âge.

Imaginons enfin que les évaluations ne soient pas faites pour produire des statistiques inutiles ou enfumer les parents mais bien dans un objectif de transparence permettant de comparer les performances des écoles et de leurs professeurs. Si l'on mesurait le niveau moyen des élèves d'une école à leur entrée en CP, puis le niveau de ces mêmes élèves en CM2 et que l'on publiait ces résultats école par école, les parents sauraient où scolariser leurs enfants, les bons professeurs pourraient se montrer fiers de leurs résultats, les moins bons seraient encouragés à changer de métier.

Évidemment, cela impliquerait la mise en concurrence des écoles, la fin de la carte scolaire, la liberté des familles par un financement adapté de leurs choix… Cela remettrait radicalement en cause l'étatisme et la passion de la centralisation qui gangrènent les cerveaux des locataires successifs de la rue de Grenelle. Mais revenons à nos grévistes : s'il est permis de s'interroger sur la vertu de ces évaluations, il est cocasse d'entendre les syndicats appeler à défiler contre un avatar de plus de l'égalitarisme d'État, qu'ils appellent de leurs vœux en permanence.