Le scandale du film "Emilia Pérez", et filmer les territoires de la France périphérique au cinéma
Retour sur le scandale qui remet en cause le destin qui s’annonçait lumineux pour le film Emilia Pérez de Jacques Audiard aux Oscars, avec 13 nominations, dont celle de la meilleure actrice pour Karla Sofia Gascon, qui y tient le rôle principal. L’actrice transgenre a récemment été épinglée pour d’anciens tweets islamophobes et racistes. "Le film est complètement lié à son actrice principale, (…) c'est également un film qui parle de la tolérance" ce qui rend difficile de continuer à espérer de recevoir la récompense du meilleur film ou du meilleur réalisateur, pointe le journaliste et critique cinéma Jordan Mintzer.
Dans une longue interview accordée à CNN en espagnol, Karla Sofia Gascon a présenté ses excuses, assurant qu’elle n’était pas raciste, justifiant ses propos par le fait qu’elle jouait à cette époque un rôle, comme un alter ego provocateur, pour se moquer de l’hypocrisie des réseaux sociaux, où, dit-elle, ceux qui s’indignent sont les mêmes qui ont des idées malsaines. Netflix se trouve être également lésé dans cette affaire et a dû enlever en catastrophe Karla Sofia Gascon de leurs campagnes pour les Oscars. Du "jamais vu", selon Jordan Mintzer, qui suppose que l’investissement de départ pour acheter le film, moins important que celui mis dans la promotion, a joué un rôle dans le manque de "background checks" (vérification des antécédents) qui a généralement lieu lors de tels achats.
La représentation de la France périphérique au cinéma
Tout Public analyse une tendance qui émerge au cinéma depuis quelques temps : les récits qui filment la jeunesse issue de territoires qualifiés de "France périphérique". Après Vingt Dieux (de Louise Courvoisier) et Leurs enfants après eux (Ludovic et Zoran Boukherma) sort le film d’Antoine Chevrollier La Pampa, qui raconte l’amitié de Willy et Jojo, grands amateurs de motocross où ces derniers s’entraînent sur le terrain de La Pampa dans un village du Maine-et-Loire. Le réalisateur explique l’importance "de regarder droit dans les yeux ce territoire, et les gens qui l’habitent" en insistant sur "la sincérité et l’amour" qu’il leur porte. Jérôme Fourquet, politologue et auteur de la note "(Re)mettre Walincourt sur la carte" pour l’Institut Terram, approuve. Pour lui, "la réitération de ce genre de films" permet de "remettre sur la carte ces territoires, ces populations, et, de surcroît, de manière non surplombante".
"On s’est évertué à avoir un regard droit, sans jugement, et avec beaucoup d’amour."
Antoine Chevrollierfranceinfo
Une attitude qui se caractérise par le personnage de Willy, qui constitue le point de vue principal du film, sans être le centre de l'intrigue, et qui permet au spectateur d’être "intensément à l’intérieur", tout en le laissant être dans une position d'observateur, explique Antoine Chevrollier. Pour ce dernier, filmer ces territoires "tels qu’ils sont" et montrer la population à "une juste hauteur", constitue sans aucun doute un geste éminemment politique. Cela montre en effet "ce que ça signifie d’être adolescent, d’être jeune adulte dans ces territoires, avec la complexité des rapports et de la violence de ces rapports".
Une représentation dans la fiction qui répond par ailleurs à un besoin de ces populations, "qui voudraient être de nouveau sur la photo", illustre Jérôme Fourquet. Raconter ces récits délivre le message "qu’on parle de leur vie, et que la production culturelle et médiatique ne se passe pas uniquement dans les grandes métropoles et a fortiori à Paris", explique le politologue. Un manque de reconnaissance qui n’est pas sans rappeler la crise des gilets jaunes survenue en 2018. "Dans la terminologie administrative, un gilet jaune s'appelle un vêtement de haute visibilité, fait remarquer Jérôme Fourquet. Quelque part, tous les invisibles de la France périphérique avaient mis ce gilet pour dire ‘on existe’."
La Pampa, en salle dès ce mercredi 5 février 2025.
Le dernier livre de Jérôme Fourquet Métamorphoses françaises – Etat de la France en infographie et en images (Seuil) est également disponible dès à présent en librairie.
Une émission avec la participation de Thierry Fiorile et Matteu Maestracci, journalistes au service culture de franceinfo.