Absentéisme, retards de paiement, subventions nébuleuses : la situation financière de la ville de Bordeaux passée au crible
Le Figaro Bordeaux
La mairie de Bordeaux gère-t-elle correctement ses finances ? La chambre régionale des comptes de Nouvelle-Aquitaine (CRC) vient de publier ses observations et recommandations à ce sujet, six ans après son dernier rapport. Dans ce document de 131 pages, l’institution financière locale relève «une situation financière saine, à ce stade», mais à améliorer. Un rapport dans l’ensemble positif, qui liste certaines pistes d’amélioration.
Alignement des planètes ou hasard du calendrier, le maire de Bordeaux, Pierre Hurmic, a décidé le 4 novembre de placarder sur le palais Rohan des affiches pour dénoncer les coupes budgétaires envisagées par le gouvernement dans le cadre du projet de loi de finances 2025. Le lendemain, jour de conseil municipal, cet affichage a été vertement critiqué par les élus de droite et du centre. Le rapport de la CRC publié le même jour, permet de mettre en perspective ces évènements avec la gestion de la ville depuis 2017.
Des finances solides, mais à surveiller
Les finances de la ville sont jugées solides par la chambre régionale des comptes, grâce à une progression de l'autofinancement et à une dette limitée à 4,9 années de remboursement. La CRC souligne néanmoins que ces équilibres doivent être surveillés, notamment en raison de l'inversion de la tendance des produits de gestion et des charges depuis 2019. Pour conserver cette situation positive, la CRC recommande donc à la commune de réduire ses délais de paiement, afin de préserver sa trésorerie, laquelle pourrait s'avérer moins avantageuse une fois les plafonds de paiement respectés.
La CRC note en outre que la mairie écologiste «a souhaité s’inscrire dans une démarche de certification de ses comptes, en parallèle du panel des collectivités expérimentatrices», un processus vertueux auquel la ville de Bordeaux n’était pourtant pas légalement contrainte. Une démarche permettant, à terme, «de sécuriser et fluidifier la chaîne des dépenses et des recettes». Le taux de recouvrement de la commune (le rapport entre les sommes encaissées et le montant total des impayés) «a progressé durant la période», note la CRC, passant à 90,18% en 2022 contre 87,77% «pour les villes de même strate», en partie grâce à «la mise en place du nouveau dispositif dans les régies des cantines scolaires et des crèches».
Un absentéisme élevé des agents municipaux
C’est un important sujet de discorde depuis l’annonce faite par le ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, dans nos colonnes, de vouloir lutter contre l’absentéisme des fonctionnaires. Bordeaux ne fait pas exception à la règle. Selon le rapport de la CRC, le nombre de jours d’absence des employés municipaux, qu’il s’agisse d’une maladie ordinaire, professionnelle ou d’un accident du travail, est passé de 36 par agent par an en 2017 à 46 en 2022. Les dépenses totales de personnel de la ville étaient de 157,5 millions d’euros en 2022, soit 50,01% des charges de gestion et le premier poste des dépenses de fonctionnement. La CRC note toutefois que la masse salariale «n’intègre pas le coût financier du niveau d’absentéisme important», lequel est évalué entre 7,8 et 9,3 millions d’euros en 2020.
Relevant ce «niveau élevé de l’absentéisme au sein de la collectivité», la CRC précise que plusieurs mesures ont cependant été mises en œuvre par la municipalité, comme le renforcement de la surveillance médicale des personnels, la réorganisation du service de santé au travail ou encore la consolidation de la prise en charge des risques psychosociaux. «Consciente de l’absentéisme élevé dans certaines directions, la collectivité travaille depuis 2019 au déploiement ciblé d’actions pour tenter d’endiguer la tendance à la hausse», ajoute la CRC. Un plan d’action va aussi être mis en place «courant 2024», pour améliorer l’ergonomie des postes de travail, la prise en charge des parcours professionnels et travailler à la fidélisation des personnels.
Trop d’agents rattachés au cabinet du maire
La CRC critique une situation atypique du cabinet du maire, auquel sont rattachés pas moins de 94 agents, bien au-delà de la limite réglementaire qui en autorise seulement sept pour une ville de la taille de Bordeaux. Cette organisation existe depuis 2017, mais la situation s'est prolongée sous la mandature actuelle. Ces agents, officiellement affectés au cabinet, sont en réalité engagés dans diverses missions administratives et techniques pour la ville, alors qu'ils devraient être placés sous l'autorité du directeur général des services (DGS). Selon la CRC, cette organisation jugée irrégulière crée des ambiguïtés en matière de gestion administrative et de responsabilités.
Cette situation pose par ailleurs des questions sur la transparence et l'efficacité de l'administration municipale. Le rattachement d'un nombre élevé d'agents au cabinet du maire, alors que ces derniers sont impliqués dans des services opérationnels, peut compliquer la coordination avec les services de la ville, en diluant les responsabilités hiérarchiques. La CRC recommande donc un retour à une organisation plus classique, où les agents dédiés à des missions techniques ou administratives seraient directement rattachés au DGS, afin de mieux déterminer leurs fonctions exactes.
Le partage des attributions avec la métropole
La CRC recommande une meilleure répartition de certaines charges avec la métropole bordelaise. La ville souhaite elle-même partager plus équitablement avec la collectivité le coût important de certains équipements considérés comme étant d'intérêt métropolitain. Pour alléger la charge de la ville, la CRC propose d’en donner une définition plus claire, permettant le transfert de certains de ces équipements à Bordeaux Métropole. Cette mesure garantirait un soutien financier adapté, tout en intégrant ces institutions dans une stratégie de développement territorial plus large.
Cette question du partage des attributions se cristallise autour de l'Opéra national de Bordeaux et de l'École supérieure des Beaux-Arts. La CRC relève que ces deux institutions, qui rayonnent au-delà de la ville, devraient être soutenues par la métropole. Si des transferts de compétence sont envisagés, ils restent complexes à négocier. L'Opéra national, dont Bordeaux finance 72% du budget, génère des charges importantes pour la mairie alors que son public est majoritairement extérieur. De même, l'École des Beaux-Arts, qui accueille une large part d'étudiants non Bordelais, pèse sur les finances de la commune, malgré l'attrait qu'elle apporte à tout le territoire métropolitain.
Subventions nébuleuses et retards de paiement
La CRC critique certaines modalités de versement des subventions par la ville, en relevant un manque de transparence voire de rigueur dans leur attribution, notamment en raison de critères parfois flous et de contrôles insuffisants. Elle recommande donc de revoir ces processus, pour assurer une répartition plus équitable et un suivi plus strict des fonds publics. En 2022, la ville a consacré près de 81 millions d’euros à des subventions de fonctionnement, soit une augmentation d’environ 16,5% par rapport à 2017.
Les retards de paiement constituent un autre point d'alerte. La chambre régionale des comptes note à cet égard que les délais de versement, bien au-delà de la limite de 30 jours réglementaires, restent très élevés à Bordeaux, particulièrement pour les investissements où le délai moyen atteint 68 jours. Cette situation tendue a généré des réclamations importantes de la part de plusieurs entreprises ainsi que des intérêts moratoires de plus de trois millions d'euros entre 2020 et 2022, dont la commune n'a réglé qu'une faible part.
L’avant et l’après Pierre Hurmic
Entre 2017 et 2020, la gestion financière de Bordeaux a été marquée par une relative stabilité, avec des dépenses de fonctionnement sous contrôle, principalement grâce à un contrat avec l'État, lequel limitait leur progression annuelle à 1,35 %. Ce contrat a été suspendu en 2020 en raison de la crise sanitaire, ce qui a entraîné une hausse des dépenses. À partir de 2020, la suppression de la taxe d'habitation a par ailleurs nécessité des ajustements fiscaux pour compenser cette perte. En 2023, la mairie a par exemple décidé d’une hausse du taux de la taxe foncière (+4,53%), un levier économique dont elle dépend à 57% pour ses recettes de fonctionnement.
La municipalité écologiste a pris en outre plusieurs mesures pour s'adapter à de nouvelles contraintes financières et sociales. En réponse à la crise sanitaire, une procédure de répartition des charges exceptionnelles a été mise en place pour étaler sur cinq ans les coûts liés à l’épidémie, permettant d'alléger l'impact financier immédiat. Sur le plan administratif, la séparation des postes de directeurs généraux des services entre la ville et la métropole en 2020 a marqué un recentrage des responsabilités. Enfin, en 2023, la mairie a lancé un audit de ses processus de paiement, afin de réduire les délais de versement et répondre aux réclamations croissantes des fournisseurs.