Zaria Forman, l’artiste qui recrée la magie des glaciers

Bleu comme la neige. Bleu comme le glacier. Bleu comme l’iceberg. Bleu comme 50 nuances de gris. Il y a mille façons de défendre notre Planète bleue contre les méfaits de l’anthropocène et de s’engager en ce XXIe siècle inquiet dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’artiste américaine Zaria Forman a décidé de le faire du bout des doigts et en beauté. Née en 1982 à South Natick, dans le Massachusetts, elle vit dans l’État de New York, à trois heures de la ville. « Si mes dessins sont bleus pour la plupart, c’est sans doute parce que la plus grande partie de notre planète, autour de 70 %, est constituée d’eau. Je dessine exactement ce que je vois, les endroits les plus extrêmes, les plus difficiles à atteindre, les plus méconnus. J’essaie de transmettre mon sentiment devant ces paysages polaires, et donc inaccessibles, par mon dessin. La couleur vient de là, pas de mon imagination

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Pour ce faire, l’artiste, très à l’aise sur la scène de ses conférences mi-art mi-science, part en expédition, prend des milliers de photographies et de vidéos dans des conditions de froid inhumain. « Je pose aussi mon appareil et je regarde intensément pour m’imprégner de mon expérience polaire, me souvenir de ce que signifie d’être là, au milieu des glaces. »

Cierva Cove Antarctica N 4. jeremy@haikstudio.com
Thomas Moran (1837-1926), le grand peintre de l’Hudson River School, fut le chantre des grands espaces américains, notamment des Rocheuses. jeremy@haikstudio.com
« Nous venons tous de ce passé, il nous a influencés d’une manière ou d’une autre », salue Zaria Forman. jeremy@haikstudio.com
Zaria Forman est installée justement dans l’État de New York. jeremy@haikstudio.com
Les œuvres que nous publions ici sont issues de la série Antarctica, 2015-2016. jeremy@haikstudio.com

Le voyage extrême fait partie de son enfance. « Ma mère, Rena Bass Forman, était photographe paysagiste. Une artiste obsédée par l’idée de dénicher l’endroit le plus reculé au monde. Donc nous passions un mois par an avec elle à l’autre bout de la planète, à savourer cet isolement, cette beauté. À 7 ans, ce fut le désert du Nouveau-Mexique, ensuite, à 11 ans, ceux de la Turquie et du Maroc. Puis, l’Inde et le Sri Lanka. J’ai découvert l’Arctique et le Groenland quand j’avais 22 ans, c’était la première fois que je voyais un iceberg – que ma mère voyait un iceberg… À partir de ce moment-là, nous avons littéralement été envahies par la vision polaire. Du fait de mes projets, j’ai pu côtoyer d’incroyables scientifiques sans en être une. J’ai passé des heures et des heures de vol au-dessus de la banquise à discuter avec eux, à apprendre le pourquoi et le comment de leurs recherches. Ils ont énormément enrichi ma pratique artistique. »

Depuis, Zaria Forman ne compte plus ses voyages vers le grand froid, sur terre, sur l’eau… Des expéditions embarquées qui durent entre une et quatre semaines. Ou dans les airs, avec des vols quotidiens pendant sept jours de suite. « Il y a bien sûr beaucoup de défis dans cette aventure, cela implique de dépasser ses peurs, il faut approfondir ses recherches, affronter le froid, ce qui m’est difficile – je n’ai pas beaucoup de gras pour me protéger ! Mais on apprend à bien s’équiper, à réchauffer ses doigts entre deux prises de vue, nous confie-t-elle en riant. Le temps derrière le cercle polaire est si imprévisible qu’il faut un long séjour, environ quatre semaines, pour avoir la bonne lumière, un vent pas trop fort. La situation la plus dangereuse que j’ai connue a été de survoler l’Antarctique. Je ne me suis jamais sentie en danger sur place, sans doute parce que ceux avec lesquels je partais étaient si parfaitement entraînés. Mais, après coup, je comprenais que nous étions tellement loin de tout que le moindre problème aurait été grave, même si l’hélicoptère est équipé de matériel de survie. »

«Je dois utiliser une centaine de bleus différents pour mes dessins. Je travaille avec une petite compagnie anglaise de pastels. Je leur envoie mes photos et ils créent de nouvelles nuances» jeremy@haikstudio.com
Le voyage extrême fait partie de son enfance. jeremy@haikstudio.com
Zaria Forman ne compte plus ses voyages vers le grand froid. jeremy@haikstudio.com
Des expéditions embarquées qui durent entre une et quatre semaines. jeremy@haikstudio.com
« J’ai toujours adoré le pastel, si tactile, que l’on travaille directement du doigt.» jeremy@haikstudio.com

La question climatique lui a sauté aux yeux au Groenland en 2007. « On ne parlait pas beaucoup du réchauffement à l’époque, alors qu’on en parle énormément aujourd’hui. Il a été dans la bouche de tous lors de ce séjour – des scientifiques, des voyageurs, des habitants qui avaient dû changer de mode de vie quasiment du jour au lendemain, traverser le fjord pour aller pêcher plus au nord. Cela m’a ouvert les yeux. La nature m’avait toujours intéressée, mais je n’avais pas vraiment conscience de cette crise de l’environnement. Depuis, je suis à fond dans mon sujet, je suis une artiste engagée dans une cause. C’est arrivé à un moment opportun dans ma pratique, je ne voulais pas faire de jolis dessins juste pour décorer les murs, je voulais faire quelque chose de plus grand, l’offrir au monde en espérant que ça le rende meilleur », nous raconte cette admiratrice de l’artiste dano-islandais Olafur Eliasson – restée pourtant « partagée », il y a dix ans, devant son installation itinérante en blocs de glacier, Ice Watch, qui a soulevé une polémique et de la méfiance chez les défenseurs de la cause verte. 

Pourquoi avoir choisi le pastel pour ses si grands formats ? « J’ai toujours adoré le pastel, si tactile, que l’on travaille directement du doigt. Il faut trouver le dessin juste quasiment du premier coup, et j’aime cette difficulté. Pas de repentirs possibles, donc pas de procrastination. Il y a un lien, à mon sens, entre la fragilité du pastel et ce paysage majestueux qui fond sous nos yeux. Le sujet même, si vaste, si puissant, sans limites, impose le grand format. Il s’agit de recréer une expérience. » Zaria a dispersé les cendres de sa mère Rena Bass Forman au Groenland, sur cette glace qui fond, pour qu’elle fasse partie du paysage. 

Le travail de Zaria Forman est actuellement exposé à la galerie Winston Wächter Fine Art de New York.