Vidéos de prisonniers dévêtus à Gaza : une pratique condamnable au regard du droit international ?

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Des dizaines, voire des centaines de Palestiniens détenus en pleine rue, agenouillés et dévêtus, parfois les yeux bandés : depuis début décembre, de nombreuses vidéos et photos documentent ces scènes d'arrestations effectuées par l'armée israélienne dans la bande de Gaza.

Les premières images de ces arrestations ont commencé à circuler le 7 décembre sur des comptes Telegram pro-israéliens. À l'époque, des arrestations de dizaines de Palestiniens, dont plusieurs civils et un journaliste, comme expliqué par la rédaction des Observateurs, avaient été filmées et photographiées.

Une vidéo et une photo montraient notamment plusieurs dizaines de personnes arrêtées et en sous-vêtements, entourées par des soldats de l'armée israélienne. D'autres séquences diffusées le 7 décembre donnaient à voir des groupes de prisonniers toujours en sous-vêtements et déplacés en camions, ou encore encadrés par l'armée dans une zone entourée de sable, agenouillés les yeux bandés.

Images montrant l'armée israélienne arrêtant puis déplaçant des dizaines de Gazaouis dans la ville de Beit Lahia le 7 décembre
Images montrant l'armée israélienne arrêtant, puis déplaçant des dizaines de Gazaouis dans la ville de Beit Lahia, le 7 décembre © Twitter / Montage Observateurs

Depuis, de nouvelles images d'autres groupes de prisonniers palestiniens ont été relayées en ligne, comme celle d'un groupe de dizaines d'hommes en sous-vêtements, debout sur un trottoir, diffusée le 9 décembre.

Le 12 décembre au soir, la chaîne de télévision N12 a partagé sur son compte Telegram la photo de quelques centaines de prisonniers entourés par des buttes de sable, sans donner plus de précisions sur son contexte.

Images de détenus palestiniens à Gaza, diffusées respectivement le 9 et le 12 décembre 2023
Images de détenus palestiniens à Gaza, diffusées respectivement le 9 et le 12 décembre 2023 © twitter /N12 / Montage Observateurs

Si l'origine de ces images est inconnue, certains éléments laissent à penser qu'elles ont été filmées par des soldats de l'armée israélienne. La plupart de ces séquences, dans lesquelles on n'observe que des soldats et des prisonniers, ont notamment été prises aux côtés de militaires israéliens, voire à bord de véhicules de l'armée. De plus, on distingue dans l'une des vidéos diffusées le 7 décembre la manche vert kaki de l'uniforme de l'armée israélienne porté par la personne qui filme.

Néanmoins, l'armée israélienne n'a pas directement diffusé ces images via ses canaux traditionnels. Le 10 décembre, le conseiller à la sécurité nationale d'Israël, Tzachi Hanegbi, a déclaré que ces images "ne servaient à personne" et espérait que leur diffusion cesse.

Des détenus dévêtus pour des raisons de sécurité, selon l'armée

L'armée a aussi expliqué que ces conditions de détention étaient liées à des raisons de sécurité.

"Il est parfois nécessaire, pour les suspects de terrorisme, de retirer leurs vêtements pour qu’ils soient fouillés afin d’être sûr qu’ils ne dissimulent pas de gilets explosifs ou d’armes", a notamment indiqué l'armée à CheckNews

"Les vêtements ne sont pas immédiatement rendus aux détenus [pour prévenir] le cas où ils dissimuleraient des objets pouvant être utilisés à des fins hostiles [comme des couteaux, NDLR]. Les vêtements sont rendus aux détenus quand il est possible de le faire."

Un crime de guerre en cas de diffusion directe des images par l'armée israélienne ?

Diffuser intentionnellement des images de traitement dégradant d'êtres humaines peut toutefois être considéré comme contraire au droit international, ont expliqué les ONG Human Rights Watch et Amnesty International à la rédaction des Observateurs de France 24. 

"Filmer des détenus peut parfois se justifier, dans certaines situations", précise Ahmed Benchemsi, directeur de la communication et du plaidoyer pour la région le Moyen-Orient pour Human Rights Watch. "Mais c'est le fait de diffuser ces images qui relève du crime de guerre, car cela démontre l'intention d'humilier et de publier le traitement dégradant d'êtres humains." 

Ce point est rappelé dans l'article 3 de la Convention de Genève de 1949, "qui s'applique à toutes les parties au conflit armé en Israël et en Palestine, [et] prévoit que toute personne détenue par une partie belligérante 'sera, en toutes circonstances, traitée avec humanité'", avait rappelé l'ONG dans un article publié le 10 novembre.

Dans ce rapport, Human Rights Watch avait ainsi qualifié les vidéos du Hamas montrant les otages israéliens de "crimes de guerre".

"Les actes interdits comprennent 'les atteintes à la dignité de la personne, notamment les traitements humiliants et dégradants'", avait souligné l'ONG, indiquant que toute violation à cet article constituait un crime de guerre.

Un point aussi rappelé par l'ONG Amnesty International auprès des Observateurs. Tchérina Jerolon, responsable des programmes Conflits au sein de l'ONG, indique que l'article 13 de la 3e convention de Genève, relative aux prisonniers de guerre, "expose de façon explicite l'obligation de protéger les prisonniers de guerre 'contre tout acte de violence ou d'intimidation contre les insultes et la curiosité publique'".

"La notion de curiosité publique implique que tout matériel d'information qui permettrait d'identifier les prisonniers, comme des photos ou des vidéos, revient à les soumettre à la curiosité publique. Donc la transmission, publication ou diffusion de ce matériel doit être évité pour être conforme à cette convention."

Une chaîne Telegram officieuse gérée par l'armée israélienne, selon Haaretz

Si l'armée israélienne n'a diffusé aucune de ces images sur ses comptes officiels sur X ou sur d’autres plateformes, les photos et vidéos ont commencé à émerger le 7 décembre en début d'après-midi sur Telegram dans plusieurs comptes pro-israéliens, relayant régulièrement des images des opérations de l'armée israélienne.

Ces images ont été partagées quelques heures plus tard par un canal Telegram nommé "72 Virgins – Uncensored". Le média israélien Haaretz a révélé le 12 décembre que cette chaîne servirait de canal officieux de l'armée israélienne.

Citant un haut responsable militaire de l'armée, le journal a dit que le canal est géré par le département d'opérations psychologiques de l'armée israélienne. L'armée israélienne a toutefois nié ces affirmations.

Des prisonniers "traités dans le respect du droit international" ?

Qu'en est-t-il de la situation même de ces prisonniers ? L'armée israélienne a affirmé auprès de plusieurs médias que ces prisonniers étaient "traités dans le respect du droit international".

Si plusieurs Palestiniens arrêtés ont depuis été libérés selon plusieurs témoignages, d'autres personnes sont toujours détenues au moment de la publication de cet article le 13 décembre. C'est notamment le cas du journaliste de la version arabe de The New Arab, Diaa Al Kahlout, arrêté le 7 décembre. Reporters sans frontières a exigé des informations sur sa détention, dans un message sur X le 11 décembre.

Depuis le 1er décembre et la fin de la pause humanitaire, l'armée israélienne a affirmé avoir arrêté "environ 140 terroristes du Hamas et du Jihad islamique dans la bande de Gaza", sans préciser dans quelle mesure ces personnes ont été arrêtées dans le cadre des opérations des derniers jours.

Selon le média Haaretz le 10 décembre, l'armée estimait que 10 % à 15 % des personnes arrêtées étaient "liées au Hamas".

Alors que beaucoup d'inconnues entourent le sort de ces prisonniers, Ahmed Benchemsi de Human Rights Watch rappelle que tous ont droit à un certain nombre de protections légales : "La loi de la guerre indique que les personnes doivent être informées promptement des raisons pour lesquelles elles ont été arrêtées. Par ailleurs, si une personne reste en état d'arrestation et n'est pas inculpée sous 48 heures, elle doit être relâchée."

Ce dernier précise aussi que chaque prisonnier doit aussi avoir la possibilité de contester leur détention. "Si n'importe lequel de ces droits n'est pas respecté, cela peut être considéré comme illégal et comme une violation du statut de Rome" de la Cour pénale internationale.

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