Climat : en France, la décarbonation s’essouffle
La baisse des émissions françaises de gaz à effet de serre se poursuit mais décélère. Dans son rapport « Secten » couvrant l’ensemble de l’année 2024, le Citepa, chargé de l’inventaire des émissions du pays, confirme qu’après d’importants progrès en 2023 (-5,8% par rapport à 2022), la baisse des émissions marque le pas, avec une réduction de seulement 1,8% l’an dernier par rapport à l’année précédente. « Un véritable coup de frein avec une division par trois du taux de baisse », note Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat qui regroupe de nombreuses ONG. Elle déplore « les reculs sur les politiques publiques en matière de transition écologique qui laissent les Français dans une dépendance coûteuse aux énergies fossiles ».
Les émissions du pays atteignent ainsi 369 millions de tonnes équivalent CO₂ (Mt éq. CO₂, mesure qui tient compte de tous les gaz à effet de serre en plus du dioxyde de carbone, comme le méthane). Et c’est sans compter l’effet des puits de carbone (forets, etc.) aujourd’hui en piètre état.
Le secteur de l’énergie, seul bon élève
Si tous les secteurs participent à la baisse, seul celui de l’énergie fait office de bon élève avec une réduction de 10,2% de ses émissions par rapport à 2023 grâce à une « baisse de la sollicitation des moyens de production fossile » en raison « de la poursuite du redressement de la production nucléaire et d’une forte production hydraulique ». Pour les autres secteurs, la baisse est bien moins forte. Dans l’industrie, la tendance observée en 2023 (-10,2%) ralentit fortement en 2024 (-1,4%) et est essentiellement due à une baisse de la production.
Mauvais bilan également pour le secteur du bâtiment (-0,7%). Cette baisse, quoique réduite, est attribuée au changement progressif des modes de chauffage, à un hiver relativement doux et à des prix de l’énergie qui le sont bien moins. Dans ce contexte, la suspension annoncée pour cet été de MaPrimeRénov’, principale aide publique à la rénovation énergétique des bâtiments, risque de plomber le bilan de l’année en cours.
Quant au transport routier, secteur le plus émetteur en France (près d’un tiers des émissions totales), la réduction des émissions n’est que de 1,2%. « On n’est pas du tout au niveau attendu, estime Anne Bringault. Concrètement, il n’y a pas eu suffisamment de reports vers d’autres modes de transport que la voiture et le développement du véhicule électrique ne s’est pas fait au rythme prévu dans la planification écologique. » Côté aérien, les émissions du trafic domestique sont en baisse de 4,3 %, une dynamique en partie due « au moindre recours aux vols intérieurs par les Français (en lien avec la suppression des vols de courte durée - inférieure à 2h30 - si une alternative ferroviaire directe existe) », selon le rapport du Citepa ; le trafic international (non comptabilisé dans l’inventaire national), lui, croît toujours (+5%).
La réduction des émissions du secteur agricole reste également très modeste (-0,5%) et concerne surtout d’autre gaz - le méthane et le dioxyde d’azote - en raison du recul des cheptels bovin et porcin. Le Citepa précise enfin ne pas prendre en compte les émissions des secteurs des déchets ainsi que des terres et forêts « faute d’indicateurs fiables ». Il rappelle toutefois que le « puits de carbone forestier est fragile » : alors qu’il absorbait en moyenne 47 MtCO₂ par an entre 2000 et 2010, il n’en a annuellement capté que 38 MtCO₂ depuis, « en raison de l’effet couplé de sécheresses à répétition depuis 2015, de maladies affectant le taux de mortalité des arbres, et d’une hausse des récoltes de bois ». Pour atteindre ses objectifs de réduction des émissions, la France devra donc moins compter sur les forêts et faire davantage d’efforts.
« Il va être nécessaire d’accélérer »
Dans le cadre de l’accord de Paris (qui vise à contenir le réchauffement « bien en dessous de 2°C au-dessus des niveaux préindustriels », voire si possible 1,5°C), la France s’est en effet engagée à atteindre la neutralité carbone en 2050. Pour y parvenir, elle s’est dotée d’une feuille de route de réduction des émissions par secteur, appelé la Stratégie Nationale Bas-Carbone (SNBC), dont la troisième version, mise en concertation en novembre 2024, attend encore d’être publiée. Dans son rapport, le Citepa estime que le budget est respecté sur la période 2019-2023, hors puits de carbone.
Les nouveaux objectifs européens ont toutefois contraint la France à aller plus loin : la SNBC-3 (qui porte sur la période 2024-2028) prévoit désormais une réduction des émissions brutes de 50 % entre 1990 et 2030, pour atteindre 270 MtCO2 éq par an à la fin de la décennie. Cela implique une réduction moyenne annuelle de l’ordre de 5% d’ici 2030. Le compte n’y est donc pas. « Il va être nécessaire d’accélérer le rythme de réduction pour l’ensemble des secteurs », résume Sarah Urbano, statisticienne au Citepa. Selon les derniers calculs de l’ONU, les politiques climatiques actuelles nous conduisent vers un réchauffement « catastrophique » de 3,1°C au cours du siècle.