Bob Dylan comme un jeune homme à la Seine musicale

«Alors, Dylan , c’était comment ?» La phrase circule généralement beaucoup après les concerts que donne Bob Dylan dans notre pays. Et l’incrédulité se lit sur les visages de ceux à qui on répond que: «C’était formidable, merci d’avoir posé la question». Ceux qui savent savent qu’il y a toujours un moment magique au cours d’un concert de l’octogénaire. Un instant où l’on bascule dans l’extraordinaire. 

Jeudi soir, ce fut sa réinterprétation de Desolation Row. La chanson est une des dix plus belles écrites par son auteur, donc une des plus belles de l’histoire de la musique américaine. Sortie en 1965, elle fait partie de l’album Highway 61 Revisited, classique parmi les classiques. Mais ce qu’en fait Dylan, 60 ans après, est proprement stupéfiant. Avec le concours actif de Jim Keltner. Cette légende vivante de la batterie rock a joué avec Dylan, Neil Young, John Lennon, Eric Clapton, George Harrison, Ry Cooder, Randy Newman. Sur Desolation Row, Keltner a complètement réinventé la rythmique, bâtissant une cadence proche du Osez Joséphine de Bashung, l’homme qui avait chanté «C’est la faute à Dylan». La présence de ce batteur de légende auprès de Dylan n’était pas la moindre des bonnes nouvelles de ce concert, qui a fait la part belle à Rough & Rowdy Ways, dernier album en date du Nobel, avec 9 titres sur 10. 

Mais le concert avait commencé avec All Along the Watchtower, écrite par Dylan en 1967 et immortalisée par Hendrix l’année suivante. It Ain’t Me Babe et It’s All Over Now, Baby Blue, ont un peu agrandi le bataillon de classique du répertoire dylanien, qui rechigne à jouer les juke-box vivants, et tant mieux. Taiseux notoire, Dylan a remercié à deux reprises, et son enthousiasme à être sur scène faisait plaisir à voir. On pensait parfois au Killer Jerry Lee Lewis pour sa manière de martyriser le piano, et chacune de ses interventions à l’harmonica a été pertinente. La voix était là aussi. Si le groupe était à la peine dans la première partie, avec un mauvais équilibre entre les deux guitares, le concert de deux heures sans interruption a atteint sa vitesse de croisière à mi-course. Une version échevelée de Key West fut un autre petit miracle d’une soirée inoubliable.