Pour Donald Trump, ce 2 avril est le « jour de la libération ». Le président américain, dont l’expression préférée est « droits de douane » , annoncera ce mercredi à 22 heures, heure de Paris, une lourde salve de taxes sur les biens importés aux États-Unis.
Le lieu choisi, la roseraie de la Maison-Blanche, et la présence de l’ensemble du gouvernement entendent marquer avec cette conférence intitulée « Make America Wealthy Again » (« Rendez sa richesse à l’Amérique ») la révolution voulue par Donald Trump, fondée sur une guerre commerciale poussée à l’extrême avec le reste du monde.
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Hésitation entre « taxe universelle de 20 % » et « droits réciproques »
Le président, qui souffle en permanence le chaud et le froid, a évoqué dimanche des droits de douane « bien plus généreux, plus doux » que ceux que les autres « pays ont accordés aux États-Unis d’Amérique au fil des décennies ». Mais, lundi, la responsable de la communication de la Maison-Blanche, Karoline Leavitt, a assuré qu’« aucune exemption » aux nouveaux droits de douane n’était envisagée. Ce qui n’a pas empêché l’indécision sur les modalités de cette nouvelle guerre de peser jusqu’aux heures précédant le fameux jour J. « Tout au long de la journée de lundi, certains conseillers ont eu l’impression que Donald Trump ne s’était pas engagé dans une voie précise », rapporte ainsi le Wall Street Journal.
Comme il le souhaitait sans doute, tous les regards se sont donc tournés vers Donald Trump. Optera-t-il pour une taxe universelle allant jusqu’à 20 % sur toutes les importations des partenaires commerciaux des États-Unis ? Ou choisira-t-il d’appliquer des droits réciproques ? « Un taux universel serait plus en phase avec la tentative de rééquilibrer la question du déficit commercial mondial » et serait « même un clin d’œil à l’utilisation des taxes pour générer des revenus », estime Everett Eissenstat, conseiller économique de Trump pendant son premier mandat. Mais l’approche réciproque consiste à « atténuer les pratiques commerciales déloyales pays par pays », ajoute-t-il.
Un gain de 600 milliards de dollars par an
Au sein de l’Administration, « des factions rivales se sont battues pour convaincre Trump que leur approche préférée était meilleure pour une politique commerciale “America first” », rapporte encore le Wall Street Journal. Alors que les États-Unis affichent des déficits commerciaux bilatéraux avec la plupart des pays du monde, pour un total annuel qui dépasse 1200 milliards de dollars, Peter Navarro, conseiller de la Maison-Blanche et partisan de la solution « taxe universelle », a déclaré dimanche que les droits de douane supplémentaires pourraient rapporter environ 600 milliards de dollars par an, une somme qui pourrait être utilisée pour réduire les impôts sur le revenu. À moins que Trump ne revienne au plan présenté pendant la campagne électorale. Dans ce cas, la taxe générale, allant éventuellement jusqu’à 20 % sur presque tous les pays, serait accompagnée de droits de douane plus élevés sur des industries spécifiques et des pays « adversaires » comme la Chine.
Seuls les pays imposant des taxes douanières et présentant un déficit commercial avec les États-Unis seraient ciblés. Soit l’UE, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, l’Inde et la Chine
Christopher Dembik, stratège chez Pictet AM
L’incertitude ajoute encore à la perplexité des partenaires commerciaux des États-Unis, autant dire du monde entier. Au-delà du choix de Donald Trump, les aléas sont multiples. En cas de droits réciproques, par exemple, la TVA serait-elle incluse, comme l’a évoqué Washington, dans le calcul des droits de douane pratiqués par la France, alors même que cette taxe s’applique à tous les produits, importés ou non ?
Autre question : quels pays seraient ciblés en priorité ? Certes, la Maison-Blanche veut durcir significativement sa politique commerciale vis-à-vis des « Dirty 15 » (« les 15 salopards », allusion au film Les 12 Salopards), ces partenaires avec lesquels les États-Unis affichent leurs plus importants déficits. « Seuls les pays imposant des taxes douanières et présentant un déficit commercial avec les États-Unis seraient ciblés. Soit l’UE, le Mexique, le Japon, la Corée du Sud, le Canada, l’Inde et la Chine », prévoyait le week-end dernier Christopher Dembik, stratège chez Pictet AM. Parmi les émergents, le Brésil et le Vietnam sont aussi dans le viseur, avec « des droits de douane nettement plus élevés sur les exportations en provenance des États-Unis » que l’inverse, observe de son côté l’agence de notation Fitch.
Jusque dans les dernières heures précédant la déclaration de guerre commerciale, plusieurs États multiplient les négociations ou les mesures dans l’espoir d’échapper à ce nouveau train de taxes. La Grande-Bretagne, avec laquelle Trump a évoqué fin février « un excellent accord commercial », espère encore échapper aux droits de douane. Le Vietnam a annoncé lundi une réduction immédiate de ses taxes sur les voitures, le gaz et des produits agricoles américains. Des entreprises aussi manifestent leur soumission à la volonté de Donald Trump en rendant publics de gros investissements aux États-Unis. Le coréen Hyundai, qui a annoncé la semaine dernière un projet à 21 milliards de dollars aux États-Unis, « n’aura pas à payer de droits de douane », a promis Trump.
Des économistes du monde entier tentent d’évaluer le coût de cette nouvelle guerre et les dégâts par secteurs ou par pays. Au-delà de l’acier et de l’aluminium, déjà affectés par de nouvelles taxes, l’automobile, les énergies renouvelables et l’agriculture pourraient être particulièrement touchées, en raison de coûts plus élevés et d’une demande réduite sur le marché américain.
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Un plan solide de l’Union européenne
Certains pays menacent de riposter. L’UE dispose d’un « plan solide » pour répondre, si besoin, à de nouveaux droits de douane américains, a affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, ce mardi 1er avril. « Nous ne voulons pas nécessairement prendre des mesures de représailles, a-t-elle déclaré devant le Parlement européen, à Strasbourg. Mais nous disposons d’un plan solide pour le faire si nécessaire », a déclaré la chef de l’exécutif européen. « Nous n’excluons pas une réponse plus importante et plus créative par le biais des services, des droits de propriété intellectuelle », avait précisé mi-mars un haut responsable de l’UE.
L’Union européenne affiche un excédent global de la balance commerciale des marchandises avec les États-Unis, de 156 milliards d’euros en 2023, essentiellement alimenté par l’Allemagne, la France ayant un excédent limité à 57 millions, pointe Éric Dor, de l’Ieseg. Et selon une estimation récente de la Banque centrale européenne, des droits de douane réciproques pourraient réduire le PIB de la zone euro de 0,5 point de pourcentage. Ramenée à un PIB de 18.800 milliards d’euros pour ses vingt pays en 2024, la perte approcherait de 100 milliards de dollars. Mais au-delà des droits réciproques que l’Europe pourrait choisir d’appliquer, une large offensive douanière des États-Unis, avec les réorientations d’exportations et de productions qu’elle engendrerait, et l’incertitude qu’elle générera, pourrait peser plus lourd encore sur l’économie.