Hausse d’impôts, rapport au RN, Nouvelle-Calédonie... Ces moments de tension entre Michel Barnier et la macronie
Les débuts d’une première colocation peuvent être difficiles. Michel Barnier pensait sans doute avoir surmonté les tensions avec le camp présidentiel en s’entourant de plusieurs ministres macronistes. Mais deux petites semaines après la nomination du gouvernement, de premières frictions fragilisent déjà la «coexistence exigeante» entre la droite et l’ex-majorité présidentielle.
5 septembre : à Matignon, une passation de pouvoirs semée de piques
Entre les deux hommes, l’histoire n’a pas vraiment bien commencé. Sur le perron de Matignon, le 5 septembre dernier, Gabriel Attal se fend d’un long monologue d’une quinzaine de minutes devant Michel Barnier, visiblement impatient de prendre la parole. «Je peux dire quelques mots ?», lui lance d’abord le nouveau premier ministre à la fin de son discours de passation de pouvoir.
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Avant même de le remercier pour son action à la tête du gouvernement, le septuagénaire lâche une première flèche teintée d’ironie à son cadet : «J'ai bien aimé la manière dont vous m'avez donné, non pas des leçons... enfin, des enseignements – même si cela n'a duré que huit mois – que l'on apprend quand on est premier ministre.» L’intéressé répond d’un sourire crispé, sous les rires de l’assistance.
En coulisses, Gabriel Attal a peu apprécié les remarques acides de son successeur. Quand certains macronistes les ont même jugées inélégantes, alors que l’ancien chef du gouvernement n’a jamais caché sa frustration de devoir quitter précipitamment l’hôtel de Matignon. Cette première passe d’armes marque le début d’une relation complexe entre les deux camps.
24 septembre : premier accrochage sur le rapport au RN
Moins de vingt-quatre heures après son installation à Bercy, Antoine Armand a provoqué la première secousse politique de l’équipe Barnier. Au micro de France inter, le 24 septembre dernier, le jeune ministre de l’Économie a assuré qu’il refuserait de travailler avec le Rassemblement national, excluant par conséquent le parti nationaliste de «l’arc républicain». La sortie a aussitôt déclenché un tir groupé de Marine Le Pen et les siens, qui avaient déjà assuré placer sous «surveillance» le nouveau gouvernement.
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Après avoir recadré le successeur de Bruno Le Maire, Michel Barnier a appelé directement la double-finaliste de la présidentielle pour la rassurer, comme le révèle Le Figaro. Un coup de fil pas franchement du goût du camp présidentiel, où certains estiment que le premier ministre a cédé à la menace du parti à la flamme. Dans un communiqué publié dans la même journée, Antoine Armand a tenté de mettre fin à la polémique en assurant qu’il «recevra toutes les forces politiques représentées au Parlement». Reste que ce rétropédalage à peine voilé a ouvert une première brèche dans la fragile coalition.
29 septembre : Retailleau déclenche une polémique sur l’État de droit
Dans la même semaine, le 29 septembre, Bruno Retailleau a électrisé un peu plus encore les relations entre une partie du gouvernement et certains parlementaires du camp présidentiel. Dans un entretien au Journal du Dimanche, le ministre de l’Intérieur a estimé que «l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré», mais que celui-ci puisait sa «source» dans «la démocratie» et «le peuple souverain».
Des propos qui n’ont pas manqué de provoquer une levée de boucliers à gauche, mais aussi dans le camp présidentiel. La présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est même dite «inquiète» après les déclarations du patron de Beauvau. Là encore, Bruno Retailleau a tenté de rectifier le tir dans un communiqué, jugeant cette fois qu’«il ne peut y avoir de démocratie sans État de droit».
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Sa sortie lui a en tout cas valu un recadrage de Michel Barnier, qui s’est directement adressé à l’ancien sénateur mercredi en conseil des ministres. Le chef du gouvernement y a rappelé son «attachement intangible à l’État de droit», dont le non-respect est une «ligne rouge», a rapporté la porte-parole du gouvernement, Maud Bregeon, à l’issue de la réunion hebdomadaire.
1er octobre : premières tensions autour de la Nouvelle-Calédonie
Parmi tous les projets fauchés par la dissolution, le dossier calédonien est sans doute l’un des plus inflammables. À l’occasion de son discours de politique générale mardi, Michel Barnier s’en est finalement emparé, annonçant l’abandon de la réforme contestée du corps électoral dans l’archipel. Mais aussi le report des élections provinciales qui devaient se tenir en décembre prochain à la fin de l’année 2025 pour apaiser «une crise d’une gravité exceptionnelle».
Quatre mois après le déclenchement d’émeutes inédites depuis quarante ans, les propos du premier ministre ont fortement agacé une partie du camp présidentiel, dont le député loyaliste (apparenté Renaissance), Nicolas Metzdorf. Menaçant de voter une motion de censure, ce fervent défenseur du projet de loi l’a même accusé mercredi d’avoir «humilié les Calédoniens», lors de sa première séance de questions de gouvernement.
Visiblement agacé par le ton du parlementaire, le premier ministre a dépêché son ministre chargé des Outre-Mer, François-Noël Buffet, pour lui répondre. Le député indépendantiste de l’archipel, Emmanuel Tjibaou, s’est, lui, félicité des annonces formulées la veille par le chef du gouvernement. Cette fois, Michel Barnier a lui-même répondu au fils du leader historique du nationalisme kanak, Jean-Marie Tjibaou.
L’attention puis les mots du premier ministre ont provoqué le départ de l’Hémicycle de Gérald Darmanin, qui a porté le projet de loi du dégel électoral pendant son bail à l’Intérieur et aux Outre-mer. Avant d’être suivi par ceux des anciens ministres Marie Lebec et Roland Lescure, puis une partie des bancs macronistes. Signe du malaise au sein du camp présidentiel, où l’on voit dans les propos de Michel Barnier un désaveu de la politique conduite jusqu’à présent.
3 octobre : Barnier sous pression sur les hausses d’impôts
Michel Barnier sait que l’épreuve du budget peut faire imploser sa fragile coalition. Le chef du gouvernement doit présenter le 10 octobre prochain son projet de loi finances, alors que le déficit public pourrait dépasser 6% du PIB à la fin de l’année. L’épineux dossier a déjà provoqué de premières étincelles entre le camp présidentiel et le premier ministre.
L’ancien commissaire européen n’a pas franchement apprécié les conseils de Gabriel Attal, mardi soir, dans la foulée de sa déclaration de politique générale. Répondant aux chefs de groupes sur les questions budgétaires, Michel Barnier lui a même lancé : «Monsieur Attal, je serai très attentif à vos propositions d’économies supplémentaires pour faire face au déficit que j’ai trouvé en arrivant...»
L’intéressé se pince les lèvres sous les rires d’une partie de l’Hémicycle, alors que son successeur n’avait déjà pas pris la peine de citer une seule fois son nom pendant son grand oral. «Je ne suis pas sûr que la meilleure manière de s'assurer du soutien de ses députés est de mettre une petite gifle au président de groupe», a noté l'ex-ministre macroniste Roland Lescure.
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Les relations se tendent un peu plus encore lorsque Michel Barnier annonce un effort fiscal temporaire et limité sur les grandes entreprises et les ménages les plus aisés. Une ligne rouge pour l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, qui juge «inacceptable» le projet de budget esquissé par le gouvernement. Résultat, le député Nord, passé par le ministère des Comptes publics, a menacé mercredi de ne pas voter le texte s’il comprend des hausses d’impôts.
Début septembre, Gérald Darmanin avait déjà compliqué la tâche du premier ministre, alors en quête d’un gouvernement, en laissant fuiter la possibilité d’une hausse d’impôts. Dans la foulée, Gabriel Attal avait à son tour demandé à son successeur de «clarifier sa ligne» sur un potentiel effort fiscal. Des prises à partie publiques qui avaient sérieusement agacé Michel Barnier, au point de reporter sa réunion prévue avec le groupe du désormais chef de file des députés macronistes. Le premier ministre rencontrera finalement mes députés EPR mardi prochain.