La bande débarque comme un ouragan sur un air de rap, regard déterminé, voire agressif, corps élastique. Tous revendicatifs, ils écrivent leur prénom à la craie sur les murs noirs du décor (Goury). Puis LA TENDRESSE en majuscule au fronton d’une large porte. Ils sont sept jeunes hommes, plus une femme, à se mettre à nu, dans tous les sens du mot. À partager leur désarroi dans la société d’aujourd’hui, à s’interroger sur leur comportement après le mouvement MeToo, leur désir, leur sexualité, leur relation à l’autre, leur rôle de mâle, enfin.
« C’est dur de pas être toujours au top », constate Romain. « Dès la toute première vision échographique Dès que ton organe sexuel génétique sera connu, on te préparera à ce que tu seras », rappelle Bboy Junior. Les garçons ne savent plus où ils en sont, ni ce qu’ils ont encore le droit de faire, les codes ont changé et bouleversé les règles.
Montés sur ressorts, ils enchaînent les « battles », confrontent leurs idées et leurs expériences puisées dans le vécu. Le spectacle repose sur des témoignages. « C’est pas avec l’argent que je porte mes couilles. Je trouverais ça plus précieux d’avoir du temps pour m’occuper de mes gamins », confie Nathan. Tigran réplique : « Moi je serai le père que j’ai pas eu : ce sera l’autorité, le cadre. Ça m’empêchera pas d’être tolérant avec mon fils. Par contre si demain il me dit “tu sais papa, je suis homo”, j’arrête d’être tolérant ! »
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Des mots justes
Après Désobéir, en 2017, qui sera repris au Théâtre de la Concorde du 24 au 28 juin, dédiée aux « sœurs blessées », joué par des jeunes femmes issues de l’immigration, la metteuse en scène Julie Berès, qui a coécrit les textes avec Kevin Keiss, Alice Zeniter et Lisa Guez, donne la parole aux hommes dans La Tendresse (Éditions L’Œil du Prince, 2021). Ils se penchent sur leurs préoccupations, leurs façons d’appréhender la virilité transmise de père en fils, leur condition et leur milieu socioculturel. Avec des mots qui sonnent juste, quitte à être lestes et accompagnés de gestes grossiers. « Y a-t-il des mamans dans la salle ? », demande Moha, vaguement inquiet. Sans tabous, ils font sauter les verrous de la chape patriarcale pour tenter de retrouver une identité, de se reconnaître et renaître.
Nous souhaitons une adresse directe au public susceptible de générer de l’empathie, de l’espoir et une libération
Les auteurs
Les acteurs, danseurs et ou, performeurs d’origines diverses vivent à fond les états d’âme de leur « personnage » sur les chorégraphies tourbillonnantes de Jessica Noita. Break dance, krump, hip-hop et classique. Julie Berès et Kevin Keiss font souffler un vent de liberté galvanisant et fraternel, dans les salles de spectacle. La Tendresse avait été présenté au festival Être un homme à Nantes, en 2023. Mais il séduit également les femmes. « Nous souhaitons une adresse directe au public susceptible de générer de l’empathie, de l’espoir et une libération », préviennent les auteurs. Le pari est gagné. À la fin, le public se lève, conquis.
La Tendresse, aux Bouffes Parisiens (Paris 2e), jusqu’au 15 juin.