Toute famille est une énorme masse de quincaillerie plus ou moins organisée et Pascal Rambert en connaît les justes et fausses valeurs. Le spectateur, dès le début, est plongé dans cet univers tourmenté et s’attachera à suivre, à travers deux enterrements et deux mariages, les différents membres de cette tribu bien secouée.
Tout d’abord, voilà le patriarche. Il s’appelle Jacques (interprété par le grand et imposant Jacques Weber), ancien député-maire austère, éminent psychiatre et linguiste. Jacques comme Lacan ? Il représente l’intellectuel engagé typique des années 1970. Sa mère vient de décéder à l’âge de 106 ans. Elle était philosophe spécialiste de Heidegger. S’était penchée sur l’engagement de l’auteur d’Être et Temps dans le nazisme, elle qui cacha des juifs pendant la guerre.
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Passer la publicitéVaudeville cérébral
La pièce commence donc par un enterrement. L’urne (en forme de grosse goutte bleue grotesque) de l’aïeule trône sur une table. Autour de cette mort, la vie, mesquine, continue. Jacques est marié à l’Italienne Marilù (remarquable Marilù Marini). Le couple (libre) a deux filles : Anne (Brochet) - une radiologue qui se rêve écrivain mariée à Arthur (Nauzyciel), un diplomate dépressif depuis qu’il a été muté à Tuvalu, un archipel polynésien – et Audrey (Bonnet), une normalienne agitée aux longs cheveux, socquettes blanches et souliers noirs façon Angélica Liddell dont il serait une admiratrice. Audrey a épousé Stan (Stanislas Nordey), un énarque devenu député en Corrèze, mais elle a toujours été amoureuse du ténébreux Laurent (Sauvage), un camarade normalien qui sort de prison, condamné pour avoir tiré dans les jambes d’un militant d’extrême droite.
Aucun répit
Et puis, il y a la nouvelle génération, celle des petits-enfants : Lena (Garrel), la fille d’Arthur et d’Anne. Elle est lesbienne et va se marier avec Mathilde (Viseux). Il y a Jisca (Kalvanda), fille de Stan et Audrey, assistante parlementaire qui, elle, s’apprête à épouser Paul (Fougère), un comédien. Les Conséquences est une pièce courant d’air, une sorte de vaudeville cérébral survolté (les plombs sautent les uns après les autres) qui se joue sous une grande bâche blanche, ce genre de tente qui abrite les noces, ces fêtes qui n’en sont pas vraiment.
Onze comédiennes et comédiens se partagent l’affiche de ce feu d’artifice qui nous laisse aucun répit. Il y a plusieurs morceaux de bravoures, telle cette discussion entre Anne et Arthur (la scène du parking) ou le monologue brillant de Mathilde qui recadre ses parents drapés dans leur égoïsme. L’individualisme est le sujet central de ces Conséquences. Les conséquences de nos actes et de nos paroles. La vie de famille et ses mesquineries sont ici étalées devant nous sans moraline ni compassion. On tire des chèques en bois spirituels endossés avec humour et gravité. Pascal Rambert a réussi une curieuse sarabande où s’entrechoquent les générations, les illusions perdues, les amours déçues, les grands esprits (souvent insupportables) et les petits arrangements. Alors on chante, alors on danse. La vie comme elle coule. La vie comme un chaos d’émotions.
Les Conséquences, au Théâtre de la Ville-Sarah-Bernhardt (Paris 4e), dans le cadre du Festival d’Automne, jusqu’au 15 novembre.