Max Brisson, sénateur LR : « Osons un big bang de l’Éducation nationale en partant de l’établissement ! »
LE FIGARO .- Que peut-on espérer de la convention citoyenne sur les temps de l’enfant voulue par Emmanuel Macron ?
Max BRISSON .- Il est déroutant que le président de la République entre dans ce degré de précision. À quoi sert le ministre de l’Éducation nationale ? Malheureusement, il n’y a pas grand-chose à attendre de cette convention, pas plus que les précédentes dont les conclusions sont rarement conservées. Le sujet est important. Nous savons que les élèves français n’ont pas assez de semaines de classes et de trop longues journées, mais laissons cette question aux spécialistes. Surtout, intégrons cette question dans une réflexion globale sur l’école sinon cela se limitera à de la cosmétique, ce dont l’Éducation nationale souffre abondamment depuis trop longtemps.
Que vous inspire le plan avenir dévoilé jeudi par la ministre de l’Éducation nationale Élisabeth Borne ?
Cela correspond exactement à ce que je conteste : une accumulation de plans pilotés par le haut. Nous avons eu « l’école du futur », « l’école faisons-là ensemble », le « fonds d’innovation pédagogique », le « choc des savoirs »… mais jamais d’évaluations de ces grands projets annoncés avec beaucoup de retentissement médiatique. Au final, même si l’on voit parfois émerger de bonnes idées, tout fini sur les étagères de la rue de Grenelle. Là où le plan Borne se retrouvera lui aussi. L’orientation est une vraie question mais l’idée la plus simple serait de la confier aux régions, en redonnant les pleins pouvoirs aux conseils de classes pour permettre aux professeurs de mieux orienter leurs élèves.
Sur quel bilan vous fondez-vous pour défendre l’idée d’une révolution du système éducatif français ?
Le constat est argumenté. Les réformes s’empilent et nous décrochons dans tous les classements internationaux. Le niveau de maîtrise des savoirs fondamentaux s’effondre, tant en mathématiques qu’en français. Les mauvaises nouvelles s’accumulant, la confiance de notre pays et des Français vis-à-vis de l’école se dégrade, sans oublier le mal-être considérable des enseignants. À cela s’ajoutent une crise des vocations dramatique et un code de l’éducation devenu obèse. Bref, tous les voyants sont au rouge. Nous sommes au bord d’une bascule de notre école avec toujours plus de moyens demandés et un système toujours hypercentralisé sans que jamais les grands tenants des réformes qui modèlent notre Éducation nationale depuis quarante ans ne se remettent en question. Il est plus que temps d’engager des changements en profondeur et de changer de vision.
Quelles seraient les grandes lignes de votre « big bang » éducatif ?
Notre pays doit redonner des missions claires à son école. Avec quelques orientations fixées durant un quinquennat, je suis persuadé que nous pouvons sortir notre système de l’ornière. Comment ? En déterminant quelques priorités : recentrage sur les disciplines fondamentales, en reconnaissant que l’école ne peut pas se charger de traiter tous les malaises de la société; définition d’une école sanctuaire consistant à remettre de l’autorité, en rétablissant l’estrade pour les professeurs et les prérogatives des conseils de discipline prévoyant les mots sanction et exclusion; retour à la méritocratie en évaluant les compétences et les connaissances pour permettre aux examens de déterminer le passage en classe supérieure et en finir avec cette folie du diplôme pour tous aboutissant au diplôme pour plus personne; enfin, refaire de l’école le lieu de la construction d’un esprit républicain et du respect des règles, des repères et de la laïcité. Aujourd’hui, cette école, où tout se fait, est aussi le lieu où rien ne se décide. En réalité, tout est déterminé au sommet en pilotage serré via toutes les strates de l’Éducation nationale. Les professeurs et les personnels ont été transformés en petits exécutants aux ordres d’une verticalité obscure. Osons un big bang de l’Education nationale en partant de l’établissement ! Cela n’a jamais été tenté depuis quarante ans.
Compte tenu de la forte inertie de ce système, comment comptez-vous vous y prendre pour avoir une chance de réussir ?
Justement en repartant de la base. Il faut permettre de sortir du cadre à tous ceux qui en ont envie. Cela peut se faire par contrat sur le recrutement des professeurs et des élèves, les moyens, l’organisation pédagogique, la préparation des cycles, la vie scolaire… Autrement dit, il faut encourager la construction de vrais projets pédagogiques adaptés aux réalités locales et aux publics en s’appuyant sur le volontariat. Il y aura évidemment des résistances mais la solution, c’est l’expérimentation. Et vous verrez que nous trouverons de nombreux volontaires engagés pour sortir du système administré car ces réussites provoqueront de nouvelles envies. J’en suis convaincu.
La gravité de la crise budgétaire du pays n’a pas empêché le premier ministre François Bayrou d’annuler la suppression de 4000 postes dans l’Éducation nationale, notamment pour s’éviter une censure de la gauche…
Notre système hypercentralisé de pilotage par le haut d’1,2 million de fonctionnaires, unique en Europe, voire dans tous les pays développés, conduit à des blocages. La résistance des syndicats existe. Ils sont eux-mêmes très centralisés et impliqués dans ce copilotage vertical. Mais on observe aussi une perte en ligne considérable entre l’énergie d’un ministre et la mise en œuvre d’une politique. Cela est le fruit de deux siècles de bonapartisme et de jacobinisme cumulés. Or, cette centralisation est beaucoup moins forte sur le terrain et si le système tient, c’est uniquement parce que des professeurs bossent, sans que leur travail ne soit reconnu ou mieux payé. Une multitude d’initiatives hors du cadre existent déjà. Pour dépasser tous les obstacles, la seule solution est de partir de la base. Et personne ne pourra me dire que cela est impossible puisque la France n’a jamais essayé.
À 115 milliards d’euros par an, le budget de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, est le premier budget de l’État et correspond aux dépenses cumulées de huit ministères (Intérieur, Logement, Travail, Transition écologique, Justice, Agriculture, Culture, Santé). Pourquoi est-il si peu efficace?
Sous la présidence Macron, les budgets ont été plus augmentés que sous la présidence Hollande. Nous nous situons dans la bonne moyenne des pays de l’OCDE au niveau des budgets mobilisés mais ce n’est pas le cas concernant les résultats. Mon intime conviction est que la refondation de l’Éducation nationale n’exige pas de moyens supplémentaires. Si cela était la panacée, notre pays aurait l’école la plus performante du monde. Notre système a besoin d’une profonde réforme structurelle. Elle est possible en se donnant les moyens de décentraliser tout ce qui peut l’être, de déconcentrer le pilotage du quotidien et d’en finir avec la gestion uniformisée depuis Paris. Enfin, si des ministres de l’Éducation sont maintenus plus longtemps sur leur mission, cela permettra une plus grande constance dans l’accompagnement des expérimentations locales auxquelles je crois.
On entend votre optimisme mais on se souvient de Laurent Lafforgue, médaille Field de mathématiques, contraint de démissionner du Haut conseil de l’Éducation en 2005 après avoir fustigé «la destruction du système éducatif (...) résultat de toutes les réformes menées depuis la fin des années 60».
Laurent Lafforgue avait éminemment raison. Rien n’a changé car les tenants du pédagogisme ambiant sont toujours aux affaires. La même matrice impose sa vision de l’école à la haute administration et aux syndicats. C’est bien pour cela qu’il faut rompre en osant ce que l’on n’a jamais osé faire.
Pourquoi Les Républicains, auxquels vous appartenez, seraient-ils capables de mettre en œuvre une telle réforme alors qu’ils n’ont jamais osé la porter lorsqu’ils étaient au pouvoir ?
La droite doit revenir aux fondamentaux. J’ai posé le mot « liberté » au cœur de mon projet. Il doit innerver toutes nos politiques. Les Républicains ont peut-être cédé trop longtemps au mimétisme de gauche mais nous avons été suffisamment sanctionnés pour comprendre nos erreurs. Derrière Bruno Retailleau, nous pouvons désormais envisager de revenir aux fondamentaux de la droite, les seuls capables d’assumer une puissante réforme de l’Éducation nationale. Pour avoir souvent partagé mes espérances dans ce domaine avec le président de notre mouvement, je peux vous dire qu’il est celui avec lequel j’ai eu les plus grandes concordances de vues. Il m’a toujours soutenu dans mon idée de créer des établissements publics innovants et autonomes. Cela a d’ailleurs été voté au Sénat, avec son soutien. Mais, hélas, cette belle ambition n’a jamais quitté le Palais du Luxembourg.