Charlotte Cardin, chanteuse et compositrice: «Les relations compliquées me fascinent»

Elle a préféré le téléphone, dialogue d’ombres qui devinent. Elle habite sur la butte Montmartre, avec Paris à ses pieds. «J’habite aux pieds de la butte, avec Paris à ma main.» Si nous avions su, peut-être… Charlotte Cardin, de Montréal, possède cet accent québécois qui déconcerte une fraction de seconde - tout comme doit la déconcerter notre drôle d’accent. Pas de raison. J’ai regardé ses clips, contemplé des images de magazines où il lui arrive de prendre la pose dans des séries de mode. Pour le mannequin qu’elle fut de 15 à 19 ans, aucun effort là-dedans. Jouer des rôles est toujours amusant. «Tu te fais maquiller et coiffer dans des styles qui ne sont pas toujours les tiens. Tu racontes l’histoire de quelqu’un d’autre. Ça ne me correspondait pas. Mais depuis que je suis devenue chanteuse, je suis heureuse de renouer avec la mode, parce que je peux me réapproprier celle-ci en racontant ma propre histoire. C’est une vraie chance.»

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N’a-t-elle pas défilé lors de la dernière Fashion Week pour Miu Miu? Non plus comme un simple «numéro» de passage sur le catwalk, mais en tant qu’artiste. La scène toujours, d’une certaine façon. Et puis ce nom? Un pseudo en hommage à Cardin (Pierre), le pionnier du look futuriste, l’homme qui sublima les femmes? Imaginerait-on une fausse Marilyn Chanel, une Natacha Saint Laurent de contrefaçon? Ce serait idiot. Non. Cardin est son nom. La première chose qui vient à l’esprit? Charlotte est belle avec, heureusement - la beauté parfaite est soporifique - quelque chose de puissant dans le nez qui ajoute de la personnalité à son visage.

ELLE CHANTE TOUT CE QU’ELLE AIME

J’ai écouté et réécouté sa musique une nuit de silence autour de moi, lu les paroles, en anglais la plupart du temps. J’ai remarqué qu’elle parlait beaucoup d’incompréhension entre les femmes et les hommes, d’amour étouffant, de passion trahie, de supplique à l’être aimé, de relation «toxique» (pour reprendre ce mot fourre-tout à la mode), de déception amoureuse, de ces tristesses qui se résument parfois à «je ne peux pas vivre avec toi, je ne peux pas vivre sans toi».

L’énigme sans fin: comment deux sexes aussi différents parviennent à s’entendre. Miracle non résolu, et heureusement, sinon quel ennui sur Terre! Mais Charlotte renouvelle la question en y apportant parfois de la cruauté dans les paroles, une étrangeté dans ses mélodies et son chant, un groove possédant quelque chose du toucher du velours noir cependant que les yeux jaunes d’un chat la fixeraient dans l’obscurité. Une cousine inspirée de Billie Eilish.

« Ne pas être enfermée dans un style me stimule énormément. »

«Quand on me demande quel genre de musique je fais, je dis toujours que j’ai un style qui appartient à la pop, influencé par tout ce que j’ai aimé en grandissant et tout ce que j’aime aujourd’hui. Ne pas être enfermée dans un style me stimule énormément.» Ça sent les nuits blanches à travailler au piano, le studio d’enregistrement jusqu’aux frémissements du jour.

Explications: Dès mon plus jeune âge, j’ai ressenti une grande connexion à la musique, quelque chose qui me permettait de m’exprimer à un niveau que je craignais de ne peut-être pas atteindre plus tard avec le langage normal. J’étais très introvertie. Tout passait chez moi, enfant, par la musique et les petits spectacles que j’aimais monter à la maison. La musique a été très vite un outil de connexion avec les autres, j’ai trouvé ma place dans la vie grâce à elle, parce qu’elle me permet de me connaître.» Et d’éliminer, avec cette profession de foi radicale: Adieu mon ego sans valeur», proclame-t-elle quelque part. Charlotte Cardin ou les bienfaits de la musicothérapie. Tour à tour «passive agressive», «Sad Girl», «Good Girl», sirène enivrante, Bovary de Sunset Boulevard, démone de minuit, toutes ces femmes en elle n’habitent pas le monde de la même manière… mille et une routes intimes qui, bien sûr, ne sont pas toujours les siennes, confidences de garçons et de filles dont elle fait son miel à la ciguë. Conclusion de l’intéressée: «Les relations compliquées me fascinent.  Dans la vie, c’est autre chose, nous le verrons plus loin…

Au téléphone ce matin-là, Charlotte éclaircit soudain la grisaille d’un ciel de zinc. Confidence intime coulant de source: l’enchanteuse a grandi dans une famille heureuse - parents scientifiques -, où chacun laissait libre cours à sa fantaisie. Ce qui nous change du millième couplet doloriste «méchante famille-je-vous-hais», en vogue jusqu’à la nausée dans l’édition. Sa musique est parfois sombre, mais sa vie est claire. Bien sûr, elle a demandé sa main à Jim Carrey dans le titre éponyme, figurant sur 99 Nights, son dernier album: «I got so many personalities/Jim Carrey ; will you marry me?» *.

Pour rire, quoique… Inquiet, le génie protéiforme l’a appelé. Cette drôle de fille amourachée n’allait-elle pas jouer les Anna Karenine pour lui? Il a raccroché, rassuré. Ils avaient bien ri. Tout ceci n’était qu’une chanson. Plus sérieusement, Charlotte est en couple avec le charmant Aliocha Schneider.

L’acteur et musicien franco-canadien a été élevé dans une famille tout aussi charmante que celle de Charlotte, où l’on enseigne aux enfants la grâce de la politesse et l’intérêt pour autrui comme des brevets d’aptitude au bonheur - Niels, le «grand frère» que je connais un peu, est fait du même bois tendre. Charlotte et Aliocha ou deux miroirs qui n’ont rien de poli, chacun conserve son éclat et son reflet qui le conduit vers d’autres rives. Les tournées pour elle, les tournages pour lui. La meilleure façon de marcher main dans la main quand la distance nourrit le manque. Un étonnement: comment expliquer que ces deux musiciens doués n’aient pas entrepris une fusion à quatre mains pour un projet? «Nous avons des explorations musicales à accomplir chacun de son côté avant de nous sentir 100 % à l’aise pour faire quelque chose ensemble… mais c’est sûr que ça va venir.»

En ce moment, Charlotte lit, ou plutôt dévore, Le Mal joli d’Emma Becker, succès littéraire de la rentrée. L’histoire d’une femme qui ne peut vivre avec son amant, ni vivre sans lui. Une histoire éternelle qui l’a interrogée pendant les 99 nuits d’enregistrement de son album, bien que chez elle, on l’avait compris, la question est réglée. Sa plus belle chanson se nomme Je quitte. Pour nous, il suffira de raccrocher.

* En français: «J’ai tellement de personnalités/ Jim Carrey ; veux-tu m’épouser?»

Charlotte Cardin sera en tournée à partir du 26 novembre et au Zénith de Paris le 6 décembre.