Hausse des taxes sur les billets d'avion : "C'est l’attractivité de la France qui sera impactée" déclare le patron en France d'EasyJet Bertrand Godinot
Alors que la France a voté une hausse significative des taxes sur les billets d’avion dans le cadre du budget 2025, les acteurs du secteur aérien s'inquiètent des conséquences sur l'attractivité du pays. Bertrand Godinot, directeur d'EasyJet en France, revient sur cette réforme qui touche particulièrement les vols domestiques et ses effets potentiels sur les voyageurs et l’économie touristique. Face à cette nouvelle taxe, il explique comment la compagnie ajuste son réseau et quelles sont les premières tendances observées chez les clients.
franceinfo : EasyJet en France, ce sont près de 300 lignes, 24 aéroports desservis sur le territoire national. Vous employez 1800 salariés en France. La hausse de la taxe sur les billets d'avion votée dans le budget de l'Etat pour 2025 est effective depuis le 1ᵉʳ mars. Avec quels effets sur votre clientèle ?
Bertrand Godinot : Malheureusement, effectivement, cette taxe qui est un triplement, par exemple pour des vols domestiques, c'est à dire qu'un passager qui va aller de Bordeaux à Nice va au départ payer deux euros cinquante, va payer sept euros cinquante à l'aller et au retour.
C'est moins de cinq euros.
Moins de cinq euros à l'aller au départ. Mais en fait, pour un vol domestique, c'est vite 10% d'augmentation des prix, mais c'est aussi des taxes qui se rajoutent évidemment à la TVA, qui se rajoute également à la taxe de sûreté, qui se rajoute à une taxe sur les nuisances sonores qui se rajoutent à la compensation carbone, qui se rajoute à énormément d'autres taxes qui ne sont pas forcément présentes dans d'autres pays, et ce qui rend effectivement l'attractivité de la France plus compliquée.
Est-ce que ce que vous avez vu un changement de la part des clients d'EasyJet depuis quelques semaines, depuis qu'ils savent qu'il va y avoir cette taxe sur les billets d'avion?
C'est encore un petit peu tôt. Nous avons trois types de clientèle. On a de la clientèle étrangère, il y a plus de cinq millions de Britanniques qui viennent en France grâce à nos lignes. Ces clients-là, ils ont le choix soit de venir en France, soit d'aller découvrir d'autres pays comme l'Italie, l'Espagne, le Portugal. Ils font un arbitrage en particulier parce qu’on a lancé une offre qui s'appelle EasyJet Holidays, donc les gens ne choisissent plus uniquement un billet d'avion, mais choisissent des vacances complètes. Et quand ils regardent, s'ils voient que la France sera beaucoup plus chère, ils vont potentiellement choisir d'autres pays.
Là, vous parlez de craintes. Vous dites qu'il peut y avoir un effet sur une moindre attractivité de la destination France, mais vous ne la voyez pas concrètement dans les réservations.
On ne le voit pas aujourd'hui dans les réservations. Ce qu'on fait, c'est qu'on adapte notre réseau, notamment pour les Français puisque quand vous êtes français et que vous partez à l'étranger, vous serez beaucoup moins taxé que si vous restez en France. Et donc ce qu'on a commencé à voir, c'est effectivement une demande plus élevée, notamment pour l'Italie, l'Espagne, le Portugal, la Grèce, toutes ces destinations là, mais aussi pour des destinations dans le nord de l'Europe comme la Finlande, comme l'Islande, etc. Que l'on développe. Mais avant tout, c'est aussi des destinations où finalement les taxes sont encore moins importantes en pour pourcentage, c'est par exemple, on développe énormément l'Egypte qu'on avait lancé depuis l'aéroport Charles de Gaulle à Paris pour l'aéroport de Ghada à Casablanca et celui deCharm el-Cheikh. On lance également un vol Egypte-Nantes par exemple. On avait déjà lancé le Lyon et donc on développe finalement une offre plus pour emmener les Français vers l'étranger parce qu'on sent une demande qui s'accélère dans ces destinations-là.
Et donc cette demande, elle s'accélère notamment de la part de la clientèle française, malgré cette hausse des prix qu'ils voient sur les billets d'avion. Donc pour l'instant, ce que vous êtes en train de dire, c'est qu'il n'y a pas d'effet sur la demande.
Ce qu'on voit, c'est qu'il y a un peu un décalage de la demande et que finalement, sept euros cinquante d'augmentation sur un aller-retour, quand vous partez en Egypte, c'est assez indolore, quand c'est dix euros en France qui se rajoutent aux taxes, c'est effectivement plus compliqué.
Ça veut dire que vous pensez qu'il risque d'y avoir un effet, surtout sur les vols intérieurs, sur les vols où ça va se voir le plus en fait.
Tout à fait. Ce qu'on voit, c'est que depuis 30 ans, EasyJet démocratise le transport aérien et on voit que notamment des étudiants vont retrouver moins souvent leur famille s'ils sont étudiants à Brest qui habite Nice par exemple, ou effectivement vers l'Afrique du Nord ou vers le Portugal où il y a des trafics affinitaires, on sent effectivement, que les gens choisissent, ils y vont moins souvent, ils voyagent moins.
"C'est dommage parce que les gens qui seront le plus impactés sont les gens qui ont le moins de moyens et qu'on a vraiment travaillé depuis 30 ans pour démocratiser ce voyage au plus grand nombre."
Bertrand Godinotà franceinfo
Le patron d'Air France-KLM Ben Smith a déjà a estimé le manque à gagner pour sa compagnie entre 90 millions et 170 millions d'euros pour 2025. Chez EasyJet, vous avez commencé à faire les mêmes calculs. Est-ce que vous estimez le manque à gagner de cette hausse de la taxe sur les billets d'avion ?
Nous, ce qu'on voit, c'est qu'effectivement on va avoir moins d'étrangers qui vont venir en France. Les étrangers vont aller dans d'autres pays, mais nous, on ne sera pas impacté en termes de compagnies aériennes. Mais malheureusement les hôteliers et les restaurateurs en France seront impactés. Ce qu'on voit c’est qu'effectivement sur certaines routes, par exemple sur un Orly-Nice, on passe cette taxe au consommateur qui est prêt à l'absorber et puis après on voit plus de clients qui vont aller vers l'étranger.
"Au final, nous en tant compagnies, on ne sera pas impacté. C'est vraiment le consommateur qui sera impacté, qui devra absorber l'augmentation de cette taxe."
Bertrand Godinotà franceinfo
En fait, il suffit de serrer les dents. On a entendu le ministre des Transports qui a dit qu'il ne souhaitait pas lui-même que cette hausse de taxe soit pérennisée dans le temps. Vous avez une certitude de ce côté-là.
On n’a aucune certitude de manière fiscale. Vu les changements de gouvernement, on n'en sait rien.
Est-ce que c'est une crainte pour vous ?
C'est une crainte parce que quand on voit le développement des vols domestiques, on est revenu au niveau de 1985. On a vraiment un retour en arrière des vols domestiques sur la France.
Pour des raisons environnementales notamment.
Il y a une petite partie qui a des développements à partir de Paris, mais quand vous faites des vols transversaux, ce n'est pas du tout le cas.
"Nous, ce qu'on regrette, c'est qu'évidemment, au final, c'est l'attractivité de la France qui sera impactée."
Bertrand Godinotà franceinfo
La compagnie low cost irlandaise Ryanair menace de réduire ses opérations en France. Est-ce que vous êtes dans le même état d'esprit que chez EasyJet qui est une compagnie britannique ?
Nous, on est dans une logique beaucoup plus constructive. On cherche à développer notre trafic avec la France. Ensuite, c'est les clients qui vont choisir avec le portefeuille s'ils veulent venir.
Mais pas pour des raisons fiscales. Vous n'allez pas fermer des liaisons?
Non, on ne va pas fermer des liaisons pour des raisons fiscales. S’il y a un certain nombre de routes où on est les seuls à opérer, si on n'arrive pas à passer au client ces routes-là, potentiellement on les fermera. On est plus dans une logique de développement et notamment de développer le trafic international. Et on a développé du Milan-Biarritz, on est en train de développer du Bordeaux-Bruxelles, on est en train de lancer, comme je vous le disais, beaucoup de routes vers l'Egypte, vers Funchal, à Madère. Et nous, on est plus dans une logique de dire qu'on va essayer de développer cette offre et comme les gens ont envie de voyager, ils le feront avec plaisir sur nos lignes.
Vous avez quand même fermé la base de Toulouse. Est ce qu'il y a d'autres bases qui vont fermer? Est-ce que vous vous engagez aujourd'hui à maintenir toutes les bases existantes ainsi que les 1800 salariés d'easyJet en France ?
Effectivement, on a annoncé la fermeture de notre base de 125 employés qui aura lieu à la fin du mois de mars. On va continuer à desservir Toulouse bien évidemment, depuis d’autres bases. Les avions et les emplois ont été redistribués en France et une majorité de nos employés ont décidé de nous suivre et donc on s'en réjouit.
Donc ça veut dire qu'il n'y aura pas de suppressions de postes.
y a des gens qui malheureusement ne pouvaient pas bouger pour des raisons personnelles, qui ont décidé ou qui seront obligés de partir. Mais on a proposé à tout le monde un autre emploi en France et dans les mêmes conditions.
Il n'y aura pas d'autre base fermée ?
Normalement, il y a aucun plan pour fermer notre base. On est plutôt là pour développer parce qu'on pense qu’il y a une envie très forte de voyager et on le fait en plus de manière la plus efficace possible et le plus environnemental que l'on puisse faire.